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année, abandonna à la Russie la Finlande tout entière et même les îles; le golfe de Botnie et le petit fleuve Tornéä devinrent les frontières communes de la Suède et de la Russie; les canons russes furent à une vingtaine de lieues de Stockholm.

Comme le fait accompli trouve facilement d’ordinaire de çomplaisans interprètes, et par suite des admirateurs, il n’a pas manqué d’écrivains pour soutenir que la conquête de la Finlande par les Russes avait été fort légitime, parce que cette province leur était nécessaire et complétait pour eux une frontière naturelle, que d’ailleurs la Finlande s’était donnée elle-même à la Russie par un traité séparé lors de la diète de Borgä en 1812, après qu’elle avait vu l’impuissance et le peu d’ardeur du gouvernement suédois à la défendre; qu’enfin l’empereur Alexandre avait généreusement promis le maintien de la constitution et de la religion nationales, promesse renouvelée solennellement par son successeur. Il y a ici beaucoup d’illusion ou de paradoxe. A la vérité, il est très loisible, en certains cas, à un chef d’état de professer une politique d’agrandissement, et une telle politique peut quelquefois être l’expression d’une expansion irrésistible ou même simplement une manifestation défensive et par conséquent légitime. Qu’une nation parvenue à un degré de centralisation fort avancée, comme la France au XVIIe siècle par exemple, attire dans le sein de son harmonique unité les provinces placées à l’extrémité de sa sphère et en-deçà des limites que la nature semble lui avoir assignées, les efforts qu’elle tentera pour délier ou pour trancher les attaches qui retiennent encore ces provinces loin d’elle ne troubleront pas l’ordre général et ne seront point justement blâmés. Qu’une race dispersée tente de réunir ses tronçons épars, qu’une nation devenue évidemment supérieure par sa civilisation, par sa culture intellectuelle, domine par un ascendant irrésistible un peuple voisin trop ignorant encore ou bien tombé dans la décadence, l’histoire ne condamnera pas ces progrès légitimes, et elle adoptera pour ces cas la théorie, souvent trop vague et dangereuse, des frontières naturelles. Mais si la politique d’agrandissement dégénère en une vaine et ambitieuse convoitise, si elle n’est plus que la manifestation de cette force aveugle qui pousse les peuples peu civilisés à répandre dans les invasions et la guerre l’activité qu’ils ne savent pas consacrer à de plus nobles desseins, si elle est remplacée en un mot par l’esprit de conquête, qu’accompagne la violence et qui est frappé de stérilité, elle devient alors un fléau qu’il appartient à la sagesse des temps modernes de prévenir ou de combattre. Or ces derniers caractères sont bien ceux des conquêtes que la Russie a faites. Élevez aussi haut que vous voudrez l’intelligence, la magnanimité, la politesse si vantées des deux