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une amitié que semblait cimenter l’admiration, feinte ou réelle, d’Alexandre pour le héros de la France, et c’était l’époque où un singulier entraînement faisait écrire à Napoléon, dans une lettre à son récent allié, que « les relations géographiques de la Russie et de la France... étaient aussi favorables que leurs relations de commerce, que, même en état de guerre, ces deux puissances ne sauraient où se rencontrer pour se battre,... et que, pour chercher des raisons d’animosité entre les deux nations, il faudrait avoir recours aux choses les plus abstraites et les plus imaginaires[1]. »

Ce n’était guère que par la Russie que Napoléon pouvait forcer la Suède à se détacher de l’Angleterre. Il répondit donc au bombardement de Copenhague, son alliée, en suscitant la conquête de la Finlande par les Russes. Il importe de remarquer combien il fallait peu d’efforts à la Suède pour défendre cette province, si l’inconcevable imprévoyance du roi Gustave IV Adolphe n’avait mis obstacle à toute sérieuse résistance. Le gouvernement suédois n’ignorait pas les dispositions du traité conclu à Tilsitt; l’ambassadeur de Suède à Saint-Pétersbourg, le baron Stedingk, avait d’ailleurs, depuis six mois, transmis de nombreux avertissemens qui ne devaient pas être négligés. Le 7 décembre 1807, il écrivait que l’attaque des Russes aurait lieu sur trois points différens; sa dépêche du 23 janvier 1808 affirmait que vingt mille Russes étaient armés et équipés pour marcher en Finlande, et qu’ils comptaient s’emparer de Svéaborg et de Svartholm au printemps. « La Russie veut la guerre avec la Suède, ajoutait-il; elle a toujours ambitionné la conquête de la Finlande, qui mettra la Suède hors de rang. La Finlande perdue, la Suède cesse d’être un état indépendant, et l’on ne pourra plus dormir tranquillement à Stockholm. La Norvège même ne présentera qu’un faible dédommagement, si l’on compare l’affection d’un peuple qui nous est uni depuis un temps immémorial avec celle d’un pays soumis par les armes. Sire, le danger est imminent... il faut mettre en action toutes les ressources imaginables... » Mais Gustave, ébloui sans doute par les caresses que le tsar son beau-frère lui avait prodiguées jusqu’alors, ne pouvait croire à une attaque violatrice de tous les traités conclus entre les deux nations, et il rappelait que le 2 février (trois semaines avant l’invasion) le comte Roumianzof, ministre des affaires étrangères de Russie, avait solennellement affirmé que son maître ne songeait à aucune hostilité contre la Suède, et que la parole de l’empereur en devait être un gage assuré. Le baron Stedingk avait lui-même reçu cette parole de la bouche d’Alexandre.

  1. Lettre citée, par M. Crusenstolpe dans l’un de ses pamphlets mensuels (février 1854).