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elle conserve la paix pendant dix ans, puissance prépondérante. Jugez, ma chère sœur, avec équité, et dites ensuite si c’est caprice de la part du voisin formidable si, pour éviter qu’une puissance qui tout à l’heure ne pouvait lui nuire ne se remette en état d’être comptée encore dans la balance politique, il cherche à la prévenir. C’est l’état de la question, c’est sur cet objet que le roi votre fils aura à négocier... Il aura sujet de bien mûrement peser ses résolutions avant de les prendre, car il sera ensuite seul responsable des événemens; on ne peut agir plus cordialement qu’en prévenant sur de pareils objets; cela ne se fait qu’entre parens; dans d’autres occasions, on saisit la fortune quand elle se présente, et on ne refuse pas d’en profiter. Tout dépend des lettres qu’on recevra du Nord….. »


On voit que la Prusse ne méditait rien moins que de réduire la Suède, même par les armes, à ne plus compter pour rien dans la balance politique de l’Europe. Le prince Henri ne lui épargne pas les funestes présages :


« La Russie n’est pas la seule qui trouve son intérêt blessé par la nouvelle forme de gouvernement en Suède, ajoute-t-il[1]. Les Anglais en sont plus fâchés encore. Jugez, ma chère sœur, quelle sera la position du roi de Suède, si ce feu vient à s’embraser. Ne vous flattez pas des Turcs, dont la diversion pouvait être utile à la Suède contre la Russie : je suis convaincu et certain qu’ils feront leur paix; mais, si même cela n’arrivait pas, je vous assure que cela n’influerait pas sur les affaires de Suède….. Si on n’avait pas à faire à des parens, on aurait un moyen sûr, en irritant les esprits, de s’emparer d’un domaine qui arrondirait nos états. On est bien éloigné de cette pensée, et si l’honneur exigeait une pareille extrémité, je suis sûr qu’on montrerait le plus grand désintéressement; au moins c’est ma façon de penser, et j’espère qu’on l’adoptera... »


Il n’est pas possible d’indiquer plus clairement que la Prusse et la Russie ne se sont pas encore désistées de leur traité secret, et que la Poméranie, ce coin de terre, pour n’être en apparence que le digne objet des vœux d’un cadet de famille, serait réellement, au gré du roi de Prusse, une acquisition qu’il ne dédaignerait pas. Gustave répondit très dignement à de telles menaces :


« Monsieur mon oncle, écrit-il au prince de Prusse en janvier 1773, je ne puis assez vous dire combien je suis touché de la franchise avec laquelle votre altesse royale veut bien me parler. C’est la preuve la plus convaincante qu’elle pouvait me donner de son amitié et de l’intérêt qu’elle prend à mon bonheur. Mais, mon cher oncle, dites-moi donc, au nom de Dieu, ce que j’ai fait pour m’attirer l’orage dont vous me montrez que je suis si infailliblement menacé. N’ai-je pas manifesté de la manière la plus évidente mes vues pacifiques ? Mon désir de cultiver l’amitié de tous mes voisins, de respecter les traités, de me concilier leur affection, ne leur est-il pas assez

  1. Lettre du mois de décembre 1772.