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puis donna le jour et l’heure, mais à bord d’un gros vaisseau hollandais qu’il devait aller examiner. Il y avait deux ambassadeurs qui trouvèrent le lieu sauvage, mais il fallut bien y passer. Ce fut bien pis quand ils furent arrivés à bord : le czar leur fit dire qu’il était à la hune, et que c’était là où il les verrait. Les ambassadeurs, qui n’avaient pas le pied assez marin pour hasarder les échelles de corde, s’excusèrent d’y monter; le czar insista, et les ambassadeurs, fort troublés d’une proposition si étrange et si opiniâtre.., à la fin, à quelques réponses brusques aux derniers messages, sentirent bien qu’il fallait sauter ce fâcheux bâton, et ils montèrent. Dans ce terrain si serré et si fort au milieu des airs, le czar les reçut avec la même majesté que s’il eût été sur son trône; il écouta la harangue, répondit obligeamment pour le roi et la nation, puis se moqua de la peur qui était peinte sur le visage des ambassadeurs, et leur fit sentir en riant que c’était la punition d’être arrivés auprès de lui trop tard. » Voilà comment, dès le commencement de son règne, ce prince, qui allait « mêler à l’avenir dans les affaires de l’Europe une cour qui n’en avait jamais été une et une nation méprisée et entièrement ignorée pour sa barbarie.., suivant sa pointe, se faisait tout rendre, mais à sa mode et à sa façon. »

À cette pointe, qui cherchait un ennemi, la Suède fit la faute de se présenter d’elle-même la première. L’histoire des progrès de la Russie sur les côtes de la Baltique et de sa domination dans le Nord et sur cette mer commence sous le règne de l’imprudent Charles XII, atteint son plus haut période lors de la conquête de la Finlande, et s’achèvera, c’est l’espérance de toute l’Europe, par la guerre actuelle, destinée à devenir le nœud du XIXe siècle.

Charles XII a suscité le redoutable empire de la Russie; cet éternel reproche restera sur sa mémoire, et les Suédois eux-mêmes, admirateurs un peu passionnés de ses vertus de héros, n’ont jamais revendiqué pour lui le renom de politique habile. Un de leurs poètes l’a représenté obsédé jusqu’à son dernier jour par la conscience de sa faute. « Pendant que je regardais flotter sur les murs de Fredrikshall le drapeau de la Suède, lui fait-il dire, j’aperçois tout à coup un point noir apparaître dans les cieux; il s’élargit et s’augmente en s’abaissant vers moi; il approche. Je distingue bientôt deux ailes, puis, à la double flamme de ses yeux, je reconnais l’oiseau ravisseur : c’était un aigle. Son vol. trace dans les airs de larges cercles. Je le suivais avidement du regard. Tout à coup il s’abat hardiment, son vol atteint déjà l’extrémité du drapeau qui flotte. Mon sang bouillonne à cette vue; je saisis une arme, je vise et je fais feu. L’aigle balance, un cri de joie va sortir de ma poitrine...