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Bélisaire jusqu’au cirque de Vespasien, depuis le théâtre de Marcellus jusqu’à l’arc de Constantin, il n’y a pas une pierre dans Rome qui n’ait une valeur épique. M. Brizeux oublie l’éloquence des ruines pour nous expliquer les merveilles des arts. Il médite sous la coupole de Saint-Pierre, dans les salles du Vatican immortalisées par le pinceau de Raphaël, sous la voûte de la chapelle Sixtine; il invoque tour à tour la philosophie, la théologie, la poésie, — et l’histoire, c’est-à-dire l’épopée, pâlit, puis s’évanouit devant les splendeurs de ses visions.

C’est pourquoi la Poétique nouvelle, malgré les morceaux excellens qu’elle renferme et que je me plais à louer, ne peut être envisagée comme un poème didactique. La pensée de l’auteur, souvent revêtue d’une forme exquise, parfois un peu elliptique, ne peut être considérée comme un véritable enseignement. Je regretterais pourtant que M. Brizeux n’eût pas tenté cette voie nouvelle. Si ses leçons n’ont pas toute la netteté que nous pourrions souhaiter, elles nous retracent fidèlement la vie intellectuelle de l’auteur, et sous ce rapport elles méritent d’être consultées comme un document précieux.

Nous savons maintenant ce que vaut, ce que signifie l’auteur de Marie; nous avons étudié avec un soin scrupuleux tous les développemens, toutes les transformations de sa pensée; il nous est facile de marquer sa place dans l’histoire littéraire de notre pays. Toujours vrai, toujours sincère, il n’a rien à redouter de la controverse. Les systèmes peuvent succéder aux systèmes sans entamer la valeur de son nom. Il s’est parfois laissé aller dans le domaine purement technique à des caprices que le goût ne saurait approuver; il a méconnu les lois rigoureuses de son art en supprimant la césure du vers décasyllabique. Dès que ce vers en effet ne se décompose plus en deux hémistiches inégaux, le premier tétrasyllabique, le second hexasyllabique, il n’y a plus de rhythme, et la prose vaut mieux cent fois que ce vers bâtard; mais il serait puéril d’insister sur ce point, car la foule, qui répète le nom des poètes, qui les admire et les aime, ne s’inquiète guère des hémistiches tétrasyllabiques ou hexasyllabiques, et je ne saurais blâmer son indifférence à cet égard. Elle ne cherche que l’émotion, et les questions techniques ne sont pas de son ressort. La césure n’intéresse que les hommes du métier. L’objection que je viens de présenter, non pas en mon nom seulement, mais au nom de tous les écrivains qui possèdent le sentiment musical, n’est donc pas de nature à déprécier la valeur poétique de M. Brizeux. L’hérésie que je combats n’alarme à coup sûr qu’un très petit nombre de consciences. Le vers décasyllabique, avec ou sans césure, ne soulèvera jamais de tempêtes.

Ce qui me paraît mériter une attention toute spéciale, c’est le caractère intime du talent que j’ai tenté d’analyser. Dans un temps où