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réfléchi vers les sentimens qui ont dicté le poème de Marie. C’est à coup sûr un poème plein de fraîcheur et de grâce. Il ne faut pourtant pas laisser croire à l’auteur de ce touchant récit que Primel et Nola puissent se comparer à Marie. Je ne sais pas si M. Brizeux connaît familièrement la langue de George Crabbe. Ce qui demeure certain pour moi, c’est qu’il s’est rencontré avec lui dans Primel et Nola. Comme dans le Borough de George Crabbe, nous trouvons la peinture réelle de la vie rustique, un récit qui rappelle en plusieurs parties l’école flamande ou hollandaise. Ce n’est pas que je veuille établir une comparaison littérale entre M. Brizeux et George Crabbe. Je reconnais volontiers que l’idéal tient plus de place chez le poète français que chez le poète anglais. Cependant il est impossible de nier l’analogie que je viens d’indiquer. Ce que je voudrais établir, ce que j’espère démontrer, c’est que Primel et Nota demeurent au-dessous de Marie, et produiront sans doute la même impression sur les générations futures, parce que l’argent joue un trop grand rôle dans le premier de ces récits. L’idéal dont j’ai parlé tout à l’heure n’est pas dans la substance même du récit, mais dans les ornemens dont le poète a jugé à propos de l’embellir. A quoi se réduit en effet le thème développé par M. Brizeux, si nous le dépouillons de toutes ses broderies lyriques ? Un journalier amoureux d’une veuve belle, jeune et riche, aimé d’elle et sûr de la posséder, ne consent à l’épouser qu’après avoir gagné par son travail ses habits de noce. Ce thème, ainsi ramené à ses termes élémentaires, offre sans doute l’étoffe d’un poème intéressant : ce n’est pas moi qui songerai à le contes- ter; je ne puis pourtant retenir un aveu que l’évidence m’impose. Le premier mariage de Nola diminue singulièrement le prestige qui s’attache à sa beauté, et j’ajouterai que sa richesse ne fait pas un moindre tort au courage et au dévouement de Primel. Reportons-nous vers les traditions bibliques. Nous voyons dans les livres de Moïse des laboureurs amoureux d’une fille jeune et belle donner sept ans de leur vie pour obtenir la possession de sa jeunesse et de sa beauté; mais dans un pareil marché, si toutefois un tel dévouement mérite ce nom vulgaire, l’intérêt pris dans le sens primitif du mot ne joue aucun rôle. La passion domine seule en souveraine. Sept ans sont donnés par l’amant pour la jeunesse et la beauté de la jeune fille. Ni champs ni vignes à recueillir en héritage, et d’ailleurs, la jeune fille apportât-elle en dot des vignes et des champs, nous ne pourrions oublier les sueurs prodiguées par son amant pour féconder le patrimoine de sa fiancée.

Dans Primel et Nola, nous ne voyons rien de pareil. Nola ou Guen-Nola a livré sa jeunesse à un vieillard qu’elle n’aimait pas, qu’elle ne pouvait aimer, pour assurer le repos et le bien-être de sa vieille mère. C’est là sans doute une résolution très digne de respect; mais