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Ce qui caractérise particulièrement le poème de Marie, c’est l’extrême simplicité. Il est impossible en effet d’imaginer une suite d’élégies où l’art semble tenir moins de place. C’est l’histoire ingénue d’un amour né au village, et dont le souvenir frais et vermeil accompagne le poète parmi les bruits de la grande ville. Ce qui donne à ce récit une physionomie toute nouvelle, c’est qu’il n’offre pas l’ombre d’une péripétie. Tout se prépare, tout s’accomplit sans lutte, sans combat. L’amant de Marie, résigné d’avance, nous le croyons du moins, à ne jamais posséder la femme qu’il aime, assiste sans amertume, presque sans regret, aux différens épisodes de cette destinée qui semblait d’abord liée à la sienne. Les esprits frivoles, et le nombre en est grand, accuseront son cœur de faiblesse, de tiédeur, de défaillance : reproche facile à prononcer, que la réflexion ne justifie pas. Il ne faut pas une grande clairvoyance pour apercevoir sous la sérénité mélodieuse du poète la tristesse d’une espérance évanouie. Il avait rêvé le bonheur, le repos et l’orgueil de la possession près de la jeune villageoise. Ce n’est pas sans un déchirement intérieur, sans une profonde mélancolie, qu’il voit son rêve réduit en cendres, et les cendres même dispersées par le vent; mais il a reçu de Dieu une mission laborieuse qui le console : il trouvera dans sa douleur le thème de chants émouvans qui éterniseront le nom de Marie. Pourquoi n’essaie-t-il pas de ressaisir la femme qui va lui échapper ? Pourquoi ne tente-t-il pas de lutter contre le jeune fermier dont Marie va devenir la compagne ? Pourquoi n’offre-t-il pas à Marie son nom et son appui ? Pourquoi ne prend-il pas courageusement la responsabilité de toute sa destinée ? Je pose toutes ces questions sans prétendre les résoudre. La pénétration la plus puissante viendrait échouer contre ces problèmes délicats. Il y a là un mystère que je ne me charge pas de sonder. Je n’ai à m’occuper que du côté poétique de cette histoire, et je suis heureux de pouvoir le louer sans réserve : conception, développement, expression, tout dans ce poème ingénu Porte l’empreinte de la vérité. Les hommes qui vivent dans les villes, au milieu des enivremens de la civilisation, auront peine à comprendre cette passion tout à la fois si ardente et si contenue, si pleine d’espérances et d’extases, et pourtant si prompte à la résignation. Pour estimer la valeur d’une telle passion, la vie ordinaire ne suffit pas. Les heureux de ce monde, ceux qui obtiennent l’approbation générale, qui excitent l’envie, que les parens bien avisés proposent à leurs enfans comme un légitime sujet d’émulation, ne peuvent manquer d’accueillir par un sourire dédaigneux et ironique cette affection qui se nourrit de souvenirs et qui renonce à la possession. A ne considérer que le train ordinaire des choses, je suis obligé de leur donner raison. Je me permettrai cependant de leur