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la silhouette gigantesque du Colisée, les thermes de Caracalla, dont les débris semblent des rochers amoncelés et précipités en désordre, les aqueducs traversant la campagne d’une ligne immense et droite, ou semant çà et là comme des îles de ruines; au plus épais des maisons et des cheminées, on apercevra la colonne de Trajan et la colonne de Marc-Aurèle élever au-dessus du niveau brun des toits leur cime aérienne, ou étinceler sous les feux du soleil la coupole métallique du Panthéon.

Si la Rome antique est dans la Rome moderne, on pourrait dire aussi que la Rome moderne est dans la Rome antique; elle y est contenue du moins. L’enceinte des murailles élevées par les empereurs du IIIe siècle est trop vaste pour la population d’aujourd’hui. La ville actuelle n’occupe qu’une partie de cette enceinte; il semble, selon l’expression un peu exagérée d’un Romain homme d’esprit, voir le petit poucet qui s’est logé dans une de ses bottes de sept lieues.

Enfin, et cela surtout est véritable, l’ancienne Rome est sous la Rome de nos jours. Creusez où vous voudrez cette couche de débris qu’ont accumulés les siècles[1], et partout vous trouverez le sol antique, vous verrez reparaître à la lumière les puissantes dalles de la montée triomphale ou de la voie Sacrée, vous foulerez le pavé déterré nouvellement de la basilique Julienne, et de ces profondeurs vous entendrez les bruits de la terre au-dessus de votre tête passer comme une chose étrangère; dans les arrière-boutiques et dans les caves, vous découvrirez les gradins des amphithéâtres. On ne peut remuer le sol, que la pioche ne sonne contre un débris. Naguère les moines d’un petit couvent, en creusant un puits pour leur usage, ont rencontré une statue; c’était le Dtrigillaire dont parle Pline, une des plus remarquables œuvres du ciseau antique. Ce qui reste à découvrir et qui attend est immense, beaucoup de quartiers n’ont jamais été fouillés. Quand on se promène dans les rues de Rome, on peut se dire : Chaque fois que le talon de ma botte frappe le pavé, il indique peut-être le gisement d’un chef-d’œuvre.

Si l’on a la patience de chercher, les auteurs anciens à la main, et en s’aidant avec prudence des bons travaux archéologiques[2], l’emplacement probable des édifices les plus importans dans l’ordre où les énumèrent ces indicateurs du IVe siècle qu’on appelle les

  1. L’exhaussement considérable du sol moderne au-dessus du sol antique frappe tous les voyageurs. Il était déjà sensible du temps de Frontin, qui l’attribuait aux incendies.
  2. Le travail le plus complet sur les antiquités de Rome, et dans son ensemble le plus sage et le plus sûr, est le grand ouvrage de M. Canina, gli Edifizj di Roma antica, 4 vol. in-folio. Ceux qu’effaient les in-folios se serviront avec fruit du volume in-8o intitulé Roma antica du même auteur.