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nales de tous les autres et de ceux-là même auxquels il prête un secours onéreux. En cherchant à faire prévaloir sur certains points, tels que les grandes questions de navigation, une politique sud-américaine qui consisterait tout à la fois à attirer l’Europe et à lui refuser tout droit d’action directe, il éveille naturellement les justes défiances des gouvernemens de l’ancien monde. Il s’expose enfin à se trouver en conflit avec les États-Unis eux-mêmes, qui veulent bien l’Amérique pour les Américains, à la condition de dominer, en ce qui les concerne, au sud comme au nord.

Ces tendances et ces complications se sont manifestées dans quelques incidens qui sont loin d’être arrivés à leur tenue, et qui ont au fond une certaine connexité, bien qu’ils soient d’un ordre assez différent. Le premier, c’est l’intervention du Brésil dans la République Orientale. Il y a un an bientôt que les soldats brésiliens sont allés à Montevideo, à moitié appelés, à moitié subis par le gouvernement oriental dans une heure de détresse. Or quel est le sens de cette intervention ? quel en sera le terme ? C’est là évidemment ce qui n’a pu manquer d’attirer l’attention de la diplomatie européenne, qui a eu trop souvent à s’occuper des affaires de la Plata pour rester complètement indifférente aujourd’hui en présence d’un fait aussi considérable que le séjour prolongé d’un corps brésilien à Montevideo. Ce n’est pas que le Brésil n’ait plusieurs fois cherché à rassurer l’Europe. Dès l’origine, le ministre des affaires étrangères de Rio-Janeiro, M. Limpo de Abreu, s’efforçait, dans une circulaire, de préciser le but de l’intervention et d’en limiter la durée aux nécessités de la pacification de l’Uruguay. Depuis lors, un protocole signé à Montevideo stipule encore que la durée de l’intervention dépendra de l’accord des deux gouvernemens, et qu’elle ne pourra dépasser dans tous les cas la période de la présidence actuelle. Le cabinet impérial s’engage en outre à évacuer l’Uruguay le jour où la République Orientale lui déclarera que les circonstances rendent inutile la présence des troupes brésiliennes. Ce sont la sans nul doute des assurances formelles ; mais si, comme cela est à craindre, la pacification de l’état oriental n’est rien moins qu’assurée d’ici à longtemps, si l’action de la politique brésilienne elle-même est un élément d’agitation, qu’arrivera-t-il ? Établi à Montevideo, le Brésil est de plus aujourd’hui en rupture ouverte avec le Paraguay, et une force navale a même reçu l’ordre, dit-on, de partir de Rio-Janeiro pour aller remonter le Parana. Il en résulte que sur trois états possesseurs de ces grandes voies navigables, le Brésil tient l’un d’eux par la présence de ses soldats et menace le second. Ne peut-on pas entrevoir dans ces faits le dessein prémédité et suivi d’arriver à établir sous une forme ou sous l’autre la prépondérance impériale dans la Plata ? Or c’est là le danger qui est de nature à tenir l’Europe en éveil. C’est là le fait caractéristique de la politique brésilienne sur ce point de l’Amérique du Sud.

La politique du Brésil dans la Plata est d’autant plus à observer de près, qu’elle peut influer sur l’avenir d’une autre question immense, celle de la navigation des fleuves américains. Depuis quelques années, on le sait, parmi les états de l’Amérique du Sud, il s’est élevé une sorte d’émulation libérale. La plupart des gouvernemens ont tenu à honneur de proclamer la liberté des rivières. Le Brésil n’est entré dans cette voie qu’avec de singulières restrictions. Il a fait ce qu’il a pu contre les traités conclus il y a quelque temps