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on cesse d’être une grande puissance. Ce sera le mot de son histoire dans la crise actuelle. Le Piémont montre comment on devient une puissance respectée et ascendante, qu’on nous permette ce terme. Avec des forces très inégales, le Piémont a plus d’un trait commun avec la Prusse. Ce que la monarchie prussienne est en Allemagne vis-à-vis de l’Autriche, le Piémont l’est en Italie ; mais il ne s’est point laissé guider par un sentiment étroit de jalousie contre l’Autriche, qui malheureusement ne semble point étranger aux conseils de la politique de Berlin. Ce n’est pas au traité du 2 décembre qu’a adhéré le Piémont, c’est à l’alliance signée le 10 avril entre la France et l’Angleterre. Quinze mille Piémontais doivent se rendre en Crimée, non comme simples auxiliaires, mais sous leur drapeau. L’Angleterre et la France doivent transporter ces troupes et faciliter au cabinet de Turin la négociation d’un emprunt de vingt-cinq millions. Le Piémont a vu s’ouvrir une crise européenne, et il y est entré résolument. C’est là en réalité la tradition permanente de la maison de Savoie. C’est par cette politique toujours prête à l’action que le Piémont s’est formé et a grandi. « Surtout, avaient l’habitude de dire les souverains de ce petit pays à leurs ambassadeurs, surtout tâchez que rien ne se fasse sans nous. » Ainsi agit aujourd’hui le cabinet de Turin. « Le Piémont, disait tout récemment le président du conseil, M. de Cavour, en est venu à compter en Europe plus que ne semblerait le réclamer son territoire limité, parce qu’au jour du péril commun il a toujours su affronter le sort commun. » Le mérite du gouvernement piémontais est d’avoir donné à tous les états l’exemple d’une initiative intelligente et courageuse dans une crise comme celle qui se déroule, où les neutralités finissent toujours par devenir très difficiles, sinon impossibles. Tel a été le résultat de toutes les guerres qui ont eu pour objet l’équilibre de l’Europe ; il n’en saurait être autrement aujourd’hui. La Russie l’a bien senti ; aussi s’est-elle efforcée de proposer un peu partout des alliances garantissant des neutralités qui n’étaient point menacées par les puissances occidentales, et que la force des choses seule peut transformer en interventions actives. La Russie a trouvé un allié naturel dans les États-Unis, qui ne demandent pas mieux que de prolonger les luttes intestines de l’Occident. Les deux nouveaux alliés ont fait peu de prosélytes en Europe, il faut le dire. La proposition de signer des traités de neutralité a échoué sur plus d’un point, notamment en Hollande. Elle ne semble avoir eu de succès jusqu’ici qu’auprès du roi de Naples, et la politique napolitaine aurait pu se placer peut-être à l’abri de garanties moins douteuses. Assurer à la Russie une neutralité qui n’est point menacée par les puissances occidentales, n’est-ce point manifester à l’égard de ces puissances des dispositions qui pourraient n’être pas sans péril ? N’est-ce point soulever une difficulté qu’il eût été plus prudent au roi de Naples de ne pas laisser naître pour sa sécurité même ? Que peut gagner le gouvernement napolitain à manifester, ainsi qu’il le fait, ses sympathies pour la Russie et ses antipathies contre l’Autriche ?

Les affaires générales de l’Europe, comme on le voit, font sentir partout leur influence et réagissent sur toutes les situations. Une de leurs conséquences les plus frappantes aujourd’hui est la crise ministérielle qui vient de s’ouvrir en Angleterre, qui a commencé par la démission de lord John Russell