Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment ménagée en Allemagne, et que, la question une fois posée sur ce terrain, il ne restait à l’Europe d’autre alternative que de reconnaître sa subordination vis-à-vis des tsars, ou de rejeter dans ses frontières la politique russe dépouillée de cette influence morale conquise parmi siècle de patiente ambition. C’est bien là la question qui s’agite aujourd’hui en Crimée et à Vienne, par les armes et par les négociations ; c’est celle qui rallie en ce moment les forces de l’Angleterre, de la France, de l’Autriche et du Piémont. Après avoir scellé de sa propre main l’alliance quelque peu imprévue de l’empire français et de la Grande-Bretagne, il ne manquait plus à l’empereur Nicolas, pour dernier miracle, que d’amener l’Autriche et le Piémont à se placer sur le même terrain et à défendre la même cause : il y a réussi.

Il y a donc à l’heure qu’il est deux ordres de faits qui s’accomplissent ou qui vont s’accomplir simultanément. Il y a la guerre qui se poursuit en Crimée dans les plus rigoureuses conditions, il y a les moyens d’action qui se préparent ou s’accroissent, les alliances qui se resserrent ou se forment, et il y a les négociations diplomatiques, dont la Russie a accepté le principe en adhérant aux quatre garanties dont le sens a été précisé par les trois puissances signataires du traité du 2 décembre. C’est la faible lueur de paix qui a brillé récemment. À vrai dire, ces négociations, qui résument toutes les chaînes actuelles d’une pacification prochaine, ne semblent pas près de s’ouvrir, bien qu’on se soit hâté de fixer le jour où elles devaient commencer. Les pouvoirs nécessaires n’ont pas même été envoyés encore aux plénipotentiaires qui auront à prendre part à ces conférences ; à plus forte raison, des plénipotentiaires nouveaux n’ont-ils point été désignés. Si la paix, une paix équitable et forte, doit sortir des négociations qui s’ouvriront, un certain intervalle nous sépare donc encore de ce moment tant désiré. Mais cette paix juste et durable sera-t-elle le fruit des conférences nouvelles ? L’envoyé du 18 tsar à Vienne, le prince Gortchakof, a adhéré purement et simplement, il est vrai, aux conditions qui lui ont été communiquées dans la réunion diplomatique du 7 janvier. Seulement il a été publié depuis une sorte de mémorandum exprimant le sens que la Russie donne à son acceptation. Or il suffit de comparer l’interprétation russe avec le texte même des garanties telles qu’elles ont été expliquées et précisées par les puissances alliées, pour craindre que la diplomatie ne se réunisse que pour reconnaître encore une fois son impuissance. L’Autriche, l’Angleterre et la France n’eussent-elles point réservé leur droit de poser telles autres conditions particulières qui leur paraîtraient exigées en sus des quatre garanties dans l’intérêt général de L’Europe, il resterait encore à s’entendre en ce qui touche la limitation des forces russes dans la Mer-Noire. Rien n’est plus net dans l’interprétation des trois puissances : la prépondérance de la Russie dans l’Euxin doit cesser ; quant aux arrangemens à prendre, ils dépendront des événemens de la guerre. Le cabinet de Pétersbourg accepte le principe, à la condition toutefois qu’il ne soit pas porté atteinte à la souveraineté du tsar chez lui. Il est aisé de voir ce que peut cacher cette simple restriction. Par le fait, la Russie, en ayant l’air de faire une grande concession, retire d’un côté ce qu’elle accorde de l’autre, car il est bien évident que tout ce qui peut tendre à limiter les forces russes dans la Mer-Noire est une atteinte à la souveraineté du tsar. Ce serait donc