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encore. Combien de siècles s’écouleront avant que l’Afrique soit devenue une terre, non pas civilisée, mais seulement habitable ? Beaucoup sans doute ; mais le XIXe siècle aura toujours l’honneur d’avoir, par les armes de l’Angleterre, par la condamnation de la traite, par l’établissement de Libéria, surveillé et ouvert pour la première fois ce monde plus fermé que ne l’a jamais été la Chine par sa muraille et ses routines traditionnelles. Le monde chrétien se doit à lui-même de ne pas laisser subsister plus longtemps toutes ces superstitions monstrueuses. En vérité, il s’acquitte fort bien de cette tâche à son insu. Toutes ses entreprises, si pacifiques qu’elles soient, sont tellement contraires aux instincts de ces vieilles races, qu’elles ne manquent jamais de faire tomber quelqu’une de ces barrières qui s’opposent à la civilisation. Cette œuvre de démolition, commencée par notre siècle, n’est pas encore fort avancée, mais elle s’accomplira fatalement, et un jour viendra où l’on n’entendra pas plus parler, nous l’espérons, des tribus mandingues et foullahs, du roi de Dahomey et des sacrifices humains, que nous n’entendons parler aujourd’hui des pirates d’Alger.

Il y a encore bien des conquêtes à accomplir sous le soleil, bien des victoires à remporter sur la barbarie, bien des sociétés criminelles à abolir, et ce serait la gloire de notre siècle de tenter ces conquêtes, de remporter ces victoires. Un instant on a pu croire que ce serait contre ces seuls ennemis que l’Europe tournerait désormais ses armes. La France s’était chargée de l’Algérie, l’Angleterre de l’Afrique méridionale, de l’Inde et de la Chine, l’Amérique du Japon, la Russie des tribus tartares de l’Asie septentrionale. Le monde barbare était enserré de toutes parts, et déjà on pouvait entendre les craquemens de ces vieux édifices, lorsqu’une lutte fratricide, nécessitée par une ambition funeste et un esprit de domination interdit aux nations chrétiennes, a armé les uns contre les autres les peuples européens. Puisse Dieu terminer promptement cette lutte et rendre l’Europe à des guerres plus légitimes et même plus profitables, à prendre les choses au simple point de vue de l’intérêt matériel ! Le royaume du roi de Dahomey serait une si belle conquête à entreprendre, et une guerre contre ce monarque serait si peu dangereuse pour l’équilibre européen et les intérêts des dynasties !


ÉMILE MONTÉGUT.