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intelligence saine, que le commerce odieux auquel il s’est livré n’a point entamée. C’est de la bouche même de Canot que M. Brantz Mayer a recueilli le récit des aventures à travers lesquelles nous venons de suivre le négrier. L’intérêt que le capitaine Canot inspira à M. Brantz Mayer n’est pas difficile à expliquer. Tous les faits qui peuvent jeter quelque lumière sur la question de l’esclavage ont pour l’Américain un bien plus grand attrait que pour l’Européen. La nature, la destinée future de la race nègre ne sont pas pour l’Américain des questions purement abstraites. Elles touchent à des intérêts plus immédiats et plus positifs, et selon qu’elle seront résolues dans tel ou tel sens, elles maintiendront ou modifieront le fondement de la société américaine. Aussi nulle part ne recueille-t-on avec plus d’avidité tous les renseignemens qui touchent à l’Afrique, et nulle part n’a-t-on fait plus de spéculations métaphysiques soit pour, soit contre la race de Chain. Nous ne savons à quel parti appartient M. Brantz Mayer, et s’il a voulu donner à son livre un but politique : mais à coup sûr la lecture de ces récits a dû mettre à l’aise la conscience de plus d’un planteur du sud et de plus d’un éleveur de la Virginie. — Après tout, ont-ils pu se dire, nous traitons mieux les noirs qu’ils ne se traiteraient entre eux, et nous sommes à notre insu les pionniers de la civilisation africaine. C’est nous qui formons sous nos fouets ces noirs qui vont peupler Libéria, c’est nous qui introduisons dans le sein du christianisme cette race qui dans son pays résiste même au mahométisme. Allons ! sans l’esclavage, l’Afrique aurait continué jusqu’à la fin du monde à sacrifier des victimes humaines et à adorer des fétiches !

Quant aux populations parmi lesquelles Canot a passé la meilleure partie de sa vie, nous les abandonnerons bien volontiers ; mais nous tenons à ajouter encore quelques traits au tableau que nous avons présenté, afin de guérir nos lecteurs de l’exagération des manies philanthropiques, si communes de notre temps, et qu’ils partagent peut-être. L’esclavage est certainement une institution détestable, mais il faut le condamner au nom des principes de justice abstraite plutôt que par amour pour la race sur laquelle il pèse, race légitimement condamnée s’il en fut jamais. La barbarie dans laquelle les nègres sont plongés n’est pas une excuse, car chez quels barbares des temps anciens et modernes, chez quels Tartares asiatiques et chez quelle tribu américaine trouvera-t-on jamais des faits comparables à ceux que nous allons raconter ?

Deux tribus avaient épousé là querelle de deux familles puissantes de la côte d’Afrique, la famille d’Amarar et la famille de Shiakar. La lutte durait depuis un temps infini, soigneusement entretenue par les blancs, qui la chauffaient à point et la modéraient à propos,