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dans des entreprises déshonorantes des efforts dignes d’une meilleure cause et d’un meilleur mobile. Le sentiment de justice et d’humanité qui fait l’unique gloire de notre siècle s’était éveillé partout ; tous les gouvernemens prenaient l’un après l’autre des engagemens solennels contre le trafic barbare si longtemps toléré. Une fortune devenait difficile à faire dans de telles conditions, et une fortune faite, plus difficile encore à accroître et à conserver. Cependant la ruine de Canot, commencée dès 131 par le gouvernement français, ne fut achevée qu’en 1847 par le gouvernement anglais, qui détruisit ses établissemens, et l’obligea, au milieu de sa carrière, à chercher un moyen de fortune moins lucratif peut-être, mais à coup sûr plus honnête, quel que soit celui qu’ait choisi depuis cette époque le brave capitaine. Une telle existence emporte après elle sa morale, morale directe et brutale comme celle qui ressort de l’existence d’un voleur ou d’un assassin. Vaut-il la peine, lorsqu’on n’est pas une brute sensuelle comme Ormond, ou un scélérat par nature comme Da Souza, de se couvrir de crimes pour n’aboutir qu’à la ruine et au déshonneur ? Cette vie d’aventures étranges pouvait-elle au moins compenser, sous le rapport de l’expérience, ce qu’elle avait dû nécessairement faire perdre en moralité à celui qui l’avait menée ? Hélas ! non. Qu’avait-il vu et contemplé dans la vie ? Des horreurs monotones, des cruautés puériles, des scènes qui soulèvent le cœur plus qu’elles n’inspirent l’effroi, des drames devant lesquels pâlissent les attentats les plus mémorables des sociétés civilisées. Quelle existence pour un Européen et un chrétien élevé dans des principes d’humanité ! Le plus misérable des vagabonds ne voudrait pas de la fortune à ce prix, et cependant c’est la vie que le négrier Canot avait menée pour ne trouver, après bien des fautes, des péchés et des actions qui frisent le crime, qu’une vieillesse souillée et malheureuse. La vie de cet homme, qui aurait pu faire un admirable sous-officier ou un solide contre-maître, prouve une fois de plus cette vérité, qu’il est bon de rappeler : que la vertu est, même à prendre les choses au simple point de vue mondain, infiniment plus spirituelle que le vice, et que si nos passions nous donnaient le temps de réfléchir, le vice serait l’unique partage des sots.

Le capitaine Canot a renoncé à cette existence périlleuse et immorale, et depuis sa ruine il a cherché dans un commerce honnête les moyens de relever sa fortune. Il a abandonné l’Afrique pour l’Amérique du Sud. À quel genre d’industrie se livre-t-il aujourd’hui ? L’éditeur du livre ne nous l’apprend point. M. Brantz Mayer, à qui il fut présenté par le docteur Hall, fondateur et premier gouverneur de la colonie du cap des Palmes, nous le dépeint comme un homme parfaitement honorable et d’une incontestable intégrité, doué d’une