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Footha-Yallon. Canot s’étant montré curieux de savoir quel crime avait commis ce malheureux, Ahmah lui répondit qu’il avait tué son fils, et que, le Koran ne contenant aucune pénalité applicable à un tel crime, les juges l’avaient condamné à être vendu comme esclave aux chrétiens. Une autre fois Canot aperçut deux femmes dont le cou était entouré de chaînes : c’étaient des sorcières condamnées par la loi à être brûlées ; mais le père d’Ahmah avait à ce moment un tel besoin de poudre, qu’il avait préféré les vendre plutôt que d’exécuter la lettre stricte du jugement. Ce manque de poudre avait fait bien du tort au puissant Ali-Mami de Footha-Yallon. Les esclaves ne composaient que la plus petite partie des marchandises de la caravane. Heureusement Ahmah allait en rapporter de quoi remplir l’arsenal de son auguste père, qui comptait engager une grande guerre contre les petites tribus avoisinantes et se munir ainsi d’esclaves pour une future caravane. On voit combien les intérêts, les passions et les habitudes de la race noire neutralisent les minces bienfaits de la religion musulmane. Un crime n’a-t-il pas été prévu par le Koran, l’esclavage se présente naturellement à l’esprit comme la punition légitime. Un crime est-il puni d’un autre châtiment, le chef élude la loi, s’il y a profit pour lui à vendre le condamné comme esclave.

Les scènes du marché aux esclaves sont de vraies scènes de champ de foire. L’homme est absolument assimilé à l’animal ; les marchands ont, pour faire passer leur denrée avariée, les mêmes ruses que les maquignons normands. Ainsi Canot vit une fois, à son grand étonnement, le momgo refuser un esclave d’une stature superbe et d’une apparence athlétique. L’œil expérimenté d’Ormond avait découvert aisément que cette apparence de santé était due à certaines drogues, et cette peau brillante à un mélange de poudre et de jus de citron. Lorsqu’un esclave devient vieux, infirme ou malade, et qu’il ne peut plus rendre aucun service à son maître, on l’engraisse pour le marché comme un vieux bœuf, et il faut alors savoir reconnaître, à la couleur de l’œil ou à la chaleur de la peau, la maladie interne. Ormond était passé maître dans cet art et se connaissait en hommes comme un maquignon en chevaux. Il inspectait soigneusement toutes les parties du corps, tâtait chaque muscle, sondait la poitrine et prenait des précautions si minutieuses, que lorsqu’un esclave sortait de ses mains, on aurait pu lui donner sans crainte un brevet de longue vie.

Ahmah de Bellah et Canot se séparèrent bons amis et échangèrent leurs présens. Canot reçut un Koran à demi usé, et Ahmah un superbe fusil. L’aventurier européen accompagna pendant une partie de son voyage ce représentant de la jeune Afrique, à qui le Koran avait donné non pas des idées d’humanité, de civilisation et de charité