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l’espoir de la race sémitique. Encore une fois, ce n’est que de nos jours que, cette préoccupation du pittoresque, cherché en dehors de la vie nationale, a hanté les cerveaux des artistes et des poètes. On me dit que les arts disparaîtront, si toutes ces anomalies disparaissent. Je n’en sais rien ; mais s’il faut, pour fournir des sujets à des tableaux qui ne me rappellent aucun paysage connu et chéri, ou à des poésies qui ne me disent rien de ma vie et de celle des compatriotes auxquels je serre la main chaque jour, conserver précieusement la phalange de laideurs morales que nous avons passée en revue ; s’il faut encore engendrer des pirates, produire des voleurs de grands chemins et admirer des Chinois, nous souhaitons aux arts un bon voyage, et nous les verrons partir sans regret.

L’opinion que nous émettons peut sembler excentrique, et surtout de notre part. Nous nous sommes plaint maintes fois de la teinte d’uniformité qui se répandait sur le monde, et nous nous en plaignons encore. Oui, le monde devient ennuyeux ; mais ce ne sont pas les civilisations monstrueuses et les anomalies sociales qui peuvent le rendre plus gai. Le monde devient ennuyeux, parce que l’âme humaine s’est affaiblie. Le vrai pittoresque, la véritable originalité, résident dans l’âme et dans le caractère. Nous pourrions être très poétiques, même avec nos habits noirs, si nous avions plus de ressources morales. Le dernier pays qui ait eu une civilisation sui géneris, l’Angleterre, l’a prouvé. Au premier aspect, rien n’est moins original que l’Anglais proprement vêtu, fraîchement rasé, gauche de manières, taciturne et silencieux. Et pourtant ce pays de la respectabilité et du cant, de l’habit noir et des mentons dénudés, a produit plus d’originaux, voire d’excentriques, que tous les autres pays de l’Europe depuis cent cinquante ans. Pour ma part, je ne vois pas, dans l’histoire de notre siècle et du précédent, d’hommes plus originaux que John Wesley, qu’Edmond Burke, que lord Clive, que Warren Hastings, que Wilberforce, que Cobbett, que lord Byron. Je ne crois pas qu’il y ait eu rien de plus curieux, de plus intéressant, de plus émouvant, que les péripéties des sectes de l’Angleterre, de ses entreprises coloniales, de son commerce et de son industrie. Ses marchands eux-mêmes sont des personnages originaux. L’Angleterre a prouvé que l’originalité pouvait très bien se rencontrer dans l’honnêteté, la vertu et le dévouement au devoir ; que l’esprit d’aventure, avec toute sa dramatique poésie, ne se rencontrait pas seulement chez les pirates et les voleurs de grand chemin, et, comme le reconnaissait lord Byron lui-même (ce père de toutes nos admirations dépravées), qu’une flotte bien commandée, un commerce immense et actif, entretenu par des institutions de crédit, des billets de banque et des valeurs fictives, sont plus poétiques