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distribue le sentiment et l’intelligence. Loin de conduire nécessairement à l’athéisme, la doctrine atomistique doit amener à reconnaître les êtres distincts de la matière. Elle n’attribue aux corps que ce qui est renfermé dans l’idée d’une chose impénétrable et étendue, et il lui est impossible de soutenir que la vie et la pensée soient des conséquences de ces propriétés. Vainement Lucrèce dit-il que les hommes qui sentent n’ont pas plus besoin d’atomes sentons que les hommes qui parlent ou qui rient ne sont formés d’atomes éloquens ou gais : il ne songe pas que la parole, la gaieté et les larmes sont des modifications et des preuves de la sensibilité et de la vie, et non des propriétés du même genre.

Sans nous étendre davantage sur les conséquences de la physique corpusculaire ou de la théorie atomistique dans l’antiquité, nous passerons à des temps plus modernes. Longtemps elle eut mauvaise réputation, et ce n’est qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles que la question fut de nouveau soulevée. Descartes, Newton, Leibnitz, Wolf, Swedenborg, etc., s’en occupèrent et la purifièrent de toute hérésie. Aujourd’hui les chimistes supposent le problème résolu, et leurs doctrines impliquent l’existence des atomes. Il serait trop long d’exposer sur ce point toutes les opinions des philosophes et en quoi elles se rapportent aux divers systèmes. Nous ne voulons parler ni de Gassendi et de ses atomes ronds pour la lumière, carrés pour la chaleur, ni de Descartes et de ses tourbillons, ni des monades quasi-étendues de Wolf, ni des vues chimériques de Swedenborg. Nous nous contenterons d’énoncer rapidement les objections que l’on a faites à la divisibilité infinie, et nous espérons que l’on arrivera avec nous à la conclusion exigée aujourd’hui par la science. Les raisons physiques nous occuperont plus que les raisons philosophiques. C’est de la chimie, non de la métaphysique, que nous voulons faire.

Toute étendue, par sa définition même, suppose la divisibilité. Si, à force de diviser une substance, on arrivait à des particules insécables, ces particules seraient sans étendue ; elles seraient égales à zéro, à rien. Or la réunion de ces particules doit constituer le corps primitif, une substance serait donc formée de - plusieurs fois rien ; zéro pris un certain nombre de, fois ferait une quantité, ce qui est absurde. Si, pour combattre cet argument, on dit que les atomes ne sont pas étendus, cela ne signifie pas grand’ chose ; si l’on dit, comme Wolf, qu’ils sont quasi-étendus, cela ne signifie rien. lia nous paraît être le meilleur argument des partisans de la divisibilité à l’infini On peut dire, dans le sens contraire, qu’outre l’étendue, les corps possèdent une propriété non moins nécessaire, l’impénétrabilité, force qui rend impossible qu’un point de matière coexiste avec un autre dans le même lieu. L’étendue seule pourrait être une propriété du vide, et l’on a fort bien défini la matière une « étendue impénétrable. »