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Cette existence du vide était, suivant eux, nécessaire au mouvement. Rien ne pourrait se mouvoir, si, comme le croyaient les philosophes d’Élée, l’univers était un tout homogène et continu ; rien ne pouvant se déplacer, rien ne pourrait changer de lieu. En faveur du vide et des atomes, qui n’étaient pour eux qu’une conséquence du vide, Leucippe et Démocrite invoquaient le témoignage des sens, rejeté par les éléates, ainsi que des expériences en général mal décrites et mal conçues. Leucippe disait que le vide existe, car un vase plein de cendres peut recevoir autant d’eau que le même vase vide. Ce système, un pou obscur, soutenu alors par des argumens plus obscurs encore, fut repris plus tard par Epicure, et exposé par Lucrèce dans l’un des plus admirables poèmes que nous ait laissé l’antiquité. Sauf les détails, il constitue encore la théorie de la physique moderne. Epicure et son maître Leucippe firent sortir la philosophie des mains de ceux qui cherchaient les principes des corps et les forces dans les nombres, les proportions, les harmonies, etc. Ils abordèrent les corps eux-mêmes, ils examinèrent leurs conditions physiques ; leur forme, leurs mouvemens, pour en déduire leurs propriétés et leurs effets. Tous les corps, dit Lucrèce, sont formés d’atomes solides et impérissables qu’on ne peut ni voir, ni disjoindre. Si la matière était divisible à l’infini, il n’y aurait aucun terme à la petitesse, ce qui est difficilement concevable. Les moindres corps se composeraient de parties innombrables, et il n’y aurait aucune différence entre une masse énorme et un corps imperceptible, puisque tous deux seraient composés d’un nombre infini de parcelles. Tous les corps seraient donc égaux. Or leur inégalité est évidente, et l’on est obligé d’admettre des atomes ou molécules indivisibles qui forment par leur réunion toute la matière que contient le monde. Les grandes masses en renferment beaucoup, les petites peu. Supposer des parties à l’infini dans un corps, c’est le supposer lui-même infini, et il y aurait alors des infinis plus grands les uns que les autres, ce qui, en physique, est inadmissible. Les corps sont donc dus à l’accumulation des atomes :

Sunt igitur solida primordia simplicitate[1].

Ce que Voltaire a ainsi traduit :

Le soutien de leur être est la simplicité.

Ces atomes de Lucrèce errent au sein du vide, et sont livrés à un mouvement perpétuel, dont la direction varie suivant qu’ils se choquent, s’unissent, ou dévient de leur route. Par leurs assemblages, ils forment la matière, et tous les corps semblables ont des

  1. Lucrèce, livre Ier, v. 610.