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et que la terre entr’ouverte y montrait à découvert, ébranlés et tremblans, les fondemens de toute morale et de toute société humaine ? N’y pensons plus, j’y consens ; ce ne sont là que des périls, le courage suffit pour les braver. Mais oublierons-nous aussi le trouble des consciences, le désordre moral, la perte de dignité et d’honneur qui sont les fruits inévitables de l’instabilité politique dégénérée en habitude ? Dirons-nous que pourvu qu’un pays conserve de certains biens civils, comme l’égalité par exemple, pourvu que les mœurs y soient douces, l’administration régulière, la justice équitable, l’impôt proportionnellement réparti, les changemens de gouvernement n’importent pas, et que ce ne sont là que des détails malheureux dont il ne faut pas trop s’occuper, s’ils n’empêchent pas les honnêtes gens de faire leurs affaires ou leur chemin ? Dirons-nous en un mot que, pourvu que tous les Français, sans distinction, aient le droit de prétendre aux emplois publics, il n’importe pas au nom de quels principes politiques ils les exercent, ni quelle main ils doivent baiser pour les obtenir ? Prenons garde à cette morale pratique et commode qui va tout droit à retrancher l’honneur du nombre des vertus des peuples modernes. Que doit dire donc, dans cette alternative, un historien impartialement dévoué au service de la vérité ? Rien d’absolu, rien d’extrême, rien même de trop décisif ; — dans la révolution française, comme dans l’histoire en général, louer le bien, reconnaître le mal, et tendre toutes les forces de son esprit pour découvrir quelque moyen de conserver l’un en conjurant l’autre ; — que si l’on trouve le secret de la Providence trop difficile à pénétrer, savoir attendre et ne pas se presser de conclure pour elle. Devant ce tableau inachevé, dont un voile couvre la moitié et auquel l’auteur assurément s’est réservé de retoucher, il est permis de suspendre son jugement. Aux esprits que ces problèmes préoccupent, soit qu’ils s’efforcent encore, soit qu’ils aient désespéré de deviner le mot de l’énigme, nous recommandons le livre de M. de Carné comme le plus utile des conseils ou la plus intéressante des lectures.


ALBERT DE BROGLIE.