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monarchies constitutionnelles, malgré leurs différences extérieures et le mal qu’elles ont dit l’une de l’autre, se proposèrent le même but et succombèrent dans la même tâche. Comme lui aussi, sous les mêmes réserves et avec les mêmes scrupules, nous voulons espérer encore que l’entreprise n’est pas manquée pour jamais, et que, sous une forme aujourd’hui difficile à prévoir, la France est destinée à posséder enfin quelque jour des institutions politiques dignes de confiance et capables de durée. Rien sans doute n’est mieux fait pour préparer un tel résultat que d’interroger comme M. de Carné toutes les instructions de l’expérience et d’en tirer des leçons morales pour tous les partis ; mais ce qui nous confirme surtout dans cette espérance, c’est qu’il nous est impossible de prendre l’état actuel de la révolution française par le monde comme le dernier mot de la Providence sur ce grand et obscur événement. Elle nous réserve sans doute, quand nous l’aurons mieux méritée, quelque autre explication du mystère où il lui plaît encore de nous laisser. Pour le moment, en effet, le problème est plus difficile à résoudre que jamais, et la catastrophe de 1848, comme les conséquences qu’elle a traînées à sa suite, le posent devant les regards dans une désespérante singularité.

D’une part en effet, comme révolution sociale, 1789 a décidément gain de cause. Ce qu’on est convenu d’appeler les principes de 89 (bien qu’ils ne soient au fond que le dernier terme de tout le développement civil de la France) gagne un peu de terrain chaque jour dans le monde. Le nouvel état de société que nos rois avaient préparé et que la révolution française a solennellement inauguré, les nouvelles relations qu’elle a établies entre les hommes, les nouvelles règles de justice et d’égalité qu’elle a proclamées, tout cela fait, comme on l’a dit (et bien qu’on l’ait dit plus d’une fois avec trop d’emphase), le tour du globe. C’est une pente irrésistible, et comme il arrive aux changemens qui sont dans la force même des choses, tout les sert également, l’ordre et les révolutions, les jours de paix et les jours de guerre, les gouvernemens qui leur résistent comme les gouvernemens qui les secondent. Pendant les années heureuses du dernier règne, l’exemple d’une société libre et florissante, prospérant paisiblement à l’ombre des principes de 1789, faisait en leur faveur, jusque dans les esprits les plus obstinés, une propagande sourde et cachée, dont la censure et la police des gouvernemens absolus ne pouvaient suspendre les effets. Quand l’orage de 1848 s’est élevé, ce travail, qui fermentait, a éclaté au grand jour. Toutes les nations de l’Europe à la fois ont demandé sur un ton impérieux à jouir des effets civils de la révolution française : la destruction des