Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douloureux de faiblesse et de violence, du sang, des trésors et des larmes prodigués en pure perte. De l’autre, on doit, sinon admirer, du moins reconnaître des conquêtes sérieuses et durables, un progrès irrésistible et continu, des efforts couronnés de succès, des principes portant toutes leurs conséquences. Civilement, la révolution de 1789 a fait une œuvre dont on ne peut contester l’efficacité ; politiquement, elle n’est jusqu’ici qu’une grande espérance trompée.

L’auteur des Etudes sur le gouvernement représentatif n’aurait sans doute pas puisé dans cet ordre d’idées plus de talent qu’il n’en a déployé pour peindre la suite de nos grandes scènes révolutionnaires, pour caractériser les tergiversations égoïstes, la défense héroïque de la gironde, et la prétendue politique de la montagne. Dans ces époques de sanglante mêlée, il n’y a guère de distinction à faire : il n’y a qu’une commune malédiction à porter ; mais aussitôt que les eaux se calment et que le tourbillon s’apaise, il semble qu’on voit reparaître assez nettement et qu’on suit les ondes diverses des deux courans que M. de Carné nous a fait apercevoir à leur source.

Nous disions tout à l’heure que la constituante avait, sans s’en douter, suivi la trace des rois de France, qu’elle détestait. Osons dire que Napoléon, qui s’en doutait moins encore, suivit la trace de la constituante, qu’il méprisait. Comme nos rois, comme les gens de la constituante, Napoléon fut un très éminent législateur civil, mais un très impuissant ou très dédaigneux législateur politique. Du règne de Napoléon comme de celui de la constituante, il est demeuré beaucoup d’œuvres civiles et très peu d’institutions politiques. C’est ce que nous espérions que M. de Carné nous ferait voir, et ce serait, suivant nous, la meilleure explication d’un fait singulier qu’il remarque, et dont il donne une interprétation qui ne nous satisfait pas complètement. M. de Carné distingue dans le règne de Napoléon deux époques différentes et comme contradictoires. Dans l’une, suivant lui, Napoléon se montre à la France comme l’exécuteur habile et ferme des promesses de 89 : il établit un gouvernement qui a la prétention de se fonder sur l’équilibre des pouvoirs publics, de garantir les droits du citoyen, et d’assurer ses intérêts par un juste mélange de pouvoir et de liberté. Dans l’autre, il foule aux pieds ces mêmes promesses, il réduit à néant les garanties qu’il avait lui-même données, il abuse de ses propres droits et méconnaît ceux d’autrui, il précipite sa chute en ébranlant lui-même les fondemens de son pouvoir. C’est ainsi que M. de Carné explique que le même homme, salué en 1800 comme le libérateur de la France, ait fini par être à charge à la nation qu’il commandait ; voilà pourquoi, suivant lui, après avoir été accueilli par l’Europe comme le restaurateur de l’ordre public