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dans les conseils des rois et la jurisprudence élevée des parlemens, le droit civil avait marché d’époque en époque à pas lents, mais continus, dans la voie de l’égalité et de la justice. Les plus mauvais, les plus oisifs, les plus despotiques souverains avaient agi en ce sens, ou laissé agir en leur nom les dépositaires de leur pouvoir administratif et judiciaire. Les ordonnances d’Orléans, de Blois et de Moulins avaient réglé la plupart des relations civiles des Français avec la sagesse de l’Hôpital, bien qu’au nom des Valois fainéans. Du sein de sa cour fastueuse, Louis XIV, servi par Colbert, avait préparé l’affranchissement du travail et l’ennoblissement de l’industrie. Louis XVI, avec Necker et Turgot, venait de donner à ce mouvement, dont la vitesse s’accélérait avec la durée, un élan plus précipité encore. La constituante n’avait qu’à le suivre, et les gens de loi, les magistrats qu’elle contenait dans son sein la guidaient aisément dans cette voie qui leur était connue. Cela revient à dire que, malgré ses hautes prétentions, la constituante, comme tout autre, fit très bien le métier qu’elle avait appris et très mal celui qu’elle croyait avoir inventé. Elle ressembla beaucoup plus qu’elle ne croyait aux souverains, ses devanciers. Grande leçon, ce semble, pour tout le monde ! Les nations sont comme les familles : les enfans n’y doivent jamais mépriser leurs pères, parce qu’ils leur ressemblent toujours ; les pères ne doivent pas trop accuser leurs enfans, parce qu’ils sont responsables de leur éducation. Qui que nous soyons, admirateurs ou détracteurs du passé ou du présent, nous pouvons, ce semble, faire notre profit de cette instruction domestique.

M. de Carné, nous l’avons dit, a très bien démêlé cette différence originaire de l’action politique et civile de la première de nos assemblées révolutionnaires. Cette remarque a même chez lui tout le mérite d’une découverte, car nous n’avons pas souvenir de l’avoir vue nulle part mise en lumière avec tant de finesse et de précision. Peut-être en a-t-il moins nettement Indiqué la cause, et peut-être aussi, s’il avait suivi un peu plus loin ce filon, en aurait-il tiré encore de plus abondantes instructions. Il y aurait, nous le croyons, trouvé le moyen d’expliquer l’étrange combinaison de force et de faiblesse, d’efficacité et d’impuissance, de stérilité et de fécondité que présente à un observateur désintéressé tout le cours de la révolution française. Il y faut toujours distinguer la révolution politique, qui jusqu’ici n’a rien produit, et la révolution civile, qui s’est assise pour jamais sur le sol de France, et qui gagne peu à peu toute la surface du monde. Suivant qu’on se place à l’un ou à l’autre de ces points de vue, le spectacle tout entier change. De l’un, on n’aperçoit que ruines entassées sur ruines, constitutions sur constitutions, dynasties sur dynasties, monarchies sur républiques, un mélange