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d’un genre et d’un moment, l’expression juste et vraie de ce qu’un homme d’esprit a pu penser, observer, sentir, regretter et peindre pendant ces années de tranquillité apparente et de tiraillement intérieur qui ont précédé et pressenti nos catastrophes. Bien qu’au-dessous des maîtres et des chefs-d’œuvre, ses ouvrages, placés à cette date exacte et significative de 1838 à 1847, seront lus, relus et consultés comme d’ingénieux commentaires de la vie du monde pendant cette phase fugitive, comme de précieux matériaux qui pourront, plus tard, servir à reconstruire, sous sa forme piquante et légère, l’histoire de notre société à ce moment précis où elle ne croyait plus et ne tremblait pas encore. Charles de Bernard lui-même, avec ses velléités d’épopée se réduisant de bonne grâce à de jolis tableaux de genre, avec ce mélange d’amour et de regret pour toutes les choses du passé, et de méfiance ou de rancune secrète contre les représentans de quelques-unes de ces choses, avec ses concessions aux réalités de la vie, aux progrès du siècle, aux faiblesses du cœur, aux petitesses de l’homme, avec son antipathie profonde contre plusieurs préventions modernes et bourgeoises, tempérée par une résignation courtoise à tout ce que le triomphe de ces préventions exige des gens d’esprit, représente, selon nous, dans quelques-unes de ses contradictions et de ses nuances, la société qu’il a si bien peinte, — et aujourd’hui, en rapprochant dans un même ensemble et sous un dernier regard cette vie solitaire et courte, ces œuvres aimables, cette mort silencieuse, il nous semble que, pour parler dignement de Charles de Bernard, il eût fallu Charles de Bernard lui-même se soumettant à l’analyse pénétrante, à l’observation délicate et fine qui ne lui a jamais fait défaut en parlant des autres, et qui lui eût servi à décrire, en parlant de lui, le plus intéressant, le plus vrai, le plus désabusé et le plus spirituel de ses modèles.


ARMAND DE PONTMARTIN.