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malgré les illusions de l’amitié, pour ne pas comprendre à quel point ce modèle était peu sûr, trop spirituel d’ailleurs pour consentir à n’être qu’une copie, il se préserva de cette influence sans cependant la combattre assez puissamment pour qu’on pût accepter ses œuvres comme une franche réaction contre les excès d’un mauvais genre et d’un grand talent. Ce fut là sa première manière, une nuance adoucie plutôt qu’un contraste, un ingénieux mélange de divers courans plutôt qu’une source vive. Puis cette manière se dégagea, chercha sa véritable veine, y réussit souvent, et il on résulta cette physionomie aimable et piquante qu’on peut aisément recomposer d’après ces livres. Mais il y avait dans cette seconde phase de dangereux voisinages, une littérature qui grossissait en s’affaiblissant, un genre de roman où l’industrie absorbait l’art et qui, à force de mouvement et de bruit, confisquait à son profit la majorité des lecteurs ou du moins des curieux. Sans se perdre dans cette cohue, Charles de Bernard s’en approcha, envia presque ceux qui y remportaient leurs opulentes victoires, et, au lieu de se complaire à rester leur supérieur, fut presque tenté de devenir leur égal. C’est au milieu de ces directions contradictoires, heureusement neutralisées par son bon esprit et son bon sens, qu’il fut surpris d’abord par les événemens politiques, puis par la maladie et par la mort, n’ayant pas fait rendre à son talent tout ce qu’en eussent tiré une volonté forte et une conviction profonde, ayant assez fait cependant pour marquer à son moment sa place dans son siècle et la défendre contre l’oubli.

Si incomplète que soit cette étude, elle pourra donc renouveler chez les lecteurs de Charles de Bernard quelques-unes des impressions de leurs lectures, replacer sons leurs yeux le titre de ses œuvres, et réveiller dans leur mémoire le souvenir des qualités qu’il y déploya. Insisterons-nous, en finissant, sur une des plus remarquables et des plus rares, cette distinction, cette connaissance de la vie mondaine que nul, pendant la même période, ne posséda au même degré ? A voir cette justesse, cette exactitude dans tous les détails de la véritable élégance, on pourrait supposer que Charles de Bernard allait tous les soirs dans le monde, et cependant il n’y allait jamais ; on l’y voyait si peu, que bien des gens s’obstinaient à croire qu’il n’existait pas. Chose singulière, M. Eugène Sue, M. Alexandre Dumas, qui ont eu leurs heures de prétentions ou de frottemens aristocratiques, leurs essais réitérés de flatteries et d’avances à ce que les journaux appellent le monde élégant, n’ont jamais su faire que des caricatures quand ils ont essayé de le peindre ; les portes leur en étaient ouvertes, une curiosité imprudente, mais irrésistible, leur