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celui-là même ne pleure plus. Il est monté à cheval, il est parti au galop à travers la nuit et la tempête, il s’est précipité au milieu des Tcherkesses, et il est tombé un poignard dans le cœur. » Le fleuve se tait, mais une forme blanche apparaît soulevée par les flots sombres, c’est le cadavre de la jeune femme ; à cette vue, la mer tressaille, un mugissement de joie s’échappe de ses abîmes, et elle entr’ouvre son vaste sein pour recevoir les ondes du Térek.

À côté de ces tableaux effrayans, le poète nous montrera chez les Cosaques la jeune femme berçant son nouveau-né. Pauvre mère ! elle est triste, mais elle est forte. Son imagination ne lui offre que des scènes de sang, et cependant avec quelle douceur résignée, avec quel courage tranquille elle accoutume son fils à la vie qui l’attend !


« Dors, petit, repose en paix, dors, mon enfant, endors-toi ! du haut des cieux, la lune regarde paisiblement dans ton berceau. Je te chanterai une chanson, si tu fermes les yeux ; je te conterai une belle histoire… Allons, endors-toi, mon enfant !

« Là où le Térek, à travers les rocs, roule en mugissant vers la vallée, le Tchetchen est à l’affût, accroupi à terre, aiguisant son poignard. Ton père cependant a vieilli dans cette vie de combats, et le ciel est avec lui… Endors-toi, mon enfant !

« Toi aussi, — ce jour-là viendra, — toi aussi tu partiras pour la guerre. Un fusil à la main, tu monteras à cheval, tu t’en iras loin de la hutte de ta mère. Je te broderai moi-même une belle housse avec de la soie bigarrée… Endors-toi, trésor de mes yeux, endors-toi, mon cher enfant !

« Tu seras un hardi cavalier, un vrai Cosaque du fond du cœur… Ah ! quand je te verrai partir, quand tu me feras un dernier signe d’adieu, que de larmes amères je verserai ! quelle tristesse m’accablera !… Allons, il faut fermer les yeux, endors-toi, cher enfant !

« Alors, dans le sommeil ou la veille, le matin ou le soir, sans cesse je penserai à toi… je n’aurai d’autre consolation que de prier. Je dirai : Où est-il maintenant ? que fait-il ?… Dors, tu es encore sans souci dans ton berceau ;… dors, ô mon enfant !

« Je te donnerai une sainte image pour t’accompagner sur ta route. Quand tu prieras Dieu, tu la mettras devant toi. Dans les pays lointains, au milieu de la bataille, tu penseras toujours à ta mère… Dors, petit, repose en paix ; endors-toi, endors-toi, mon enfant ! »


Mais ce n’est pas dans la forme purement lyrique que la pensée de Lermontof trouve son expression complète ; le récit convient mieux à la largeur et à la simplicité de son inspiration. Tantôt ce sera un poétique tableau à la façon de Lara et du Corsaire, tantôt une de ces fresques où se déploient naturellement de colossales figures. Quelle grandeur sans effort dans la reproduction de ces types à demi barbares ! quel sentiment de la majesté primitive ! Le poème intitulé le Novice (M. Bodenstedt traduit ce titre par ces mots : le