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POETES ET ROMANCIERS


DE LA RUSSIE




LE POETE DU CAUCAS, MICHEL LERMONTOF.
I. Michail Lermontoff’s poetischer Nachlass, zum erstenmal in den Versmassen der Urschrift, mit Hinzuziehung der bisher unveroeffentlichten Gedichte, aus dem Russischen übersetzt, von Friedrich Bodenstedt ; 2 vol., Berlin 1852. — II. Der Held unserer Zeit. Kaukasische Lebensbilder, aus dem Russischen, von August Boltz ; 1 vol., Berlin 1852.





Par une sombre matinée du mois de janvier 1837, une rumeur sinistre mettait en émoi la population de Saint-Pétersbourg. Le poète national de la Russie venait d’être frappé en duel, et une voiture conduite à pas lents à travers les rues de la ville rapportait le corps ensanglanté à une famille en deuil. Ce poète n’était pas seulement un de ces artisans de style qui, depuis Lomonosof et le prince Kantemir jusqu’à la période de Karamsin et de Krilof, semblaient n’avoir eu d’autre soin que d’assouplir l’idiome moscovite. Maître de cette forme si longuement préparée, il avait pu donner l’essor à son génie, et pour la première fois on citait le nom d’un écrivain russe parmi les poètes qui exprimaient, comme Goethe, Byron et Chateaubriand, le travail de la pensée européenne. Bien qu’il eût du sang africain dans les veines, bien qu’il descendît par sa mère de ce More Hannibal acheté par Pierre le Grand, devenu plus tard le favori du tsar et investi du commandement de la flotte, cette origine, visible encore dans les traits de son visage et dans l’ardeur d’une nature de feu, n’avait pas altéré chez lui la sincérité d’une inspiration toute nationale. Il était Russe de cœur et d’âme ; il aimait avec passion les