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Maq-Oglou qu’une voix humaine nous adressait la parole dans un langage familier et aimé. Le messager n’était pourtant qu’un Grec, mais il avait vécu pendant bien des années au milieu des Européens, et il avait contracté les manières et les habitudes de l’Occident. Je n’ouvris pas tout de suite la lettre qu’il m’apportait, et je demeurai quelques instans pensive, tant le son de ces accens si connus et depuis si longtemps étrangers à mon oreille m’avait émue. La lettre était du consul anglais à Césarée, M. Sutter, qui exerce seul une mission d’hospitalité envers tous les Européens de passage dans cette ville. Il m’annonçait qu’une maison préparée par ses soins m’attendait, et que son kavas était chargé par lui de m’y conduire. Nous allions donc partir, lorsqu’une cavalcade nombreuse cette fois parut à peu de distance du village et s’y arrêta, tandis que deux cavaliers venaient nous complimenter au nom du pacha et des principaux habitans de la ville sur notre arrivée parmi eux. Le pacha m’envoyait en outre un cheval richement harnaché, sur lequel il m’invitait à faire mon entrée dans la ville. Cette extrême obligeance m’embarrassait bien un peu, car je ne me souciais guère d’échanger mon cheval, auquel j’étais si bien accoutumée, contre un animal inconnu. Nous fîmes notre entrée dans la ville de César avec la plus grande pompe. Nous formions une cavalcade de trente et quelques personnes, dont plusieurs vêtues avec tout le luxe que l’Orient comporte encore. Nous ne faisions, à vrai dire, qu’une assez triste figure, avec nos vêtemens usés et ternis par la poussière et la boue, au milieu de ces couleurs éclatantes et de ces riches broderies en or et en soie, mais tels que nous étions, ou plutôt tels que le voyage nous avait faits, c’était pourtant sur nous que s’arrêtaient tous les regards.

Notre hôte était un riche négociant arménien, père d’une nombreuse famille. Sa fille aînée, déjà épouse et mère, était venue habiter la maison paternelle pendant l’absence de son mari, qui voyageait pour affaires de commerce. Plusieurs parens établis dans la province s’étaient réunis autour du riche négociant pour jouir des derniers jours du carnaval et des amusemens qu’il amène avec lui. Les trois ou quatre chambres qui composent une maison dans cette partie du monde étaient remplies d’une multitude de femmes, de jeunes filles, de jeunes garçons et d’enfans, parés comme pour une fête depuis le point du jour jusqu’à la nuit et depuis la nuit close jusqu’au matin, car personne en Orient ne se déshabille pour se livrer au repos. Telles que vous les avez quittées la veille, vous revoyez les mêmes toilettes le lendemain d’aussi bon matin qu’il vous plaît, seulement un peu froissées. Cet usage est général, et il n’a pas de grands inconvéniens pour les riches, qui peuvent changer de vêtemens dans le cours de la journée, comme nous le faisons en nous