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moins soigné que leurs cheveux, et les très grandes dames qui ont habité la capitale ont seules des peignes. Quant au fard multicolore dont elles font un usage immodéré, elles ne peuvent en régler la distribution qu’en s’aidant réciproquement de leurs conseils, et comme les femmes qui habitent la même maison sont autant de rivales, elles encouragent volontiers les unes chez les autres les plus grotesques enluminures. Elles se mettent du vermillon sur les lèvres, du rouge sur les joues, sur le nez, sur le front et sur le menton, du blanc à l’aventure et comme remplissage, du bleu autour des yeux et sous le nez. Ce qui est plus étrange encore, c’est la manière dont elles se teignent les sourcils. On leur a dit sans doute que, pour être beau, le sourcil doit former un grand arc, et elles en ont conclu qu’il serait d’autant plus admirable, que l’arc en serait plus grand, sans se demander si la place de cet arc n’était pas irrévocablement déterminée par la nature. Cela étant, elles attribuent à leurs sourcils tout l’espace existant d’une tempe à l’autre, et se peignent sur le front deux arcs immenses qui partent de la naissance du nez et s’en vont chacun de son côté jusqu’à la tempe. Il est de jeunes beautés excentriques qui préfèrent la ligne droite à la courbe, et qui se tracent une grande raie noire en travers du front ; mais ces cas sont rares.

Ce qui est certain en même temps que déplorable, c’est l’influence de cette peinture combinée avec la paresse et le défaut de propreté naturels aux femmes orientales. Chaque visage féminin est une œuvre d’art fort compliquée, et qu’on ne saurait recommencer tous les matins. Il n’y a pas jusqu’aux mains et aux pieds qui, bariolés en couleur orange, ne redoutent l’action de l’eau comme nuisible à leur beauté. La multitude d’enfans et de servantes, surtout de négresses, qui peuplent les harems, et le pied d’égalité sur lequel vivent maîtresses et suivantes, sont aussi des causes aggravantes de la malpropreté générale. Je ne parlerai pas des enfans, chacun connaît leurs mœurs et leurs coutumes ; mais représentons-nous un instant ce que deviendraient nos jolis ameublemens d’Europe, si nos cuisinières, nos femmes de peine, venaient se reposer de leurs travaux sur nos causeuses et nos fauteuils, les pieds sur nos tapis et le dos contre nos tentures. Ajoutez à ceci que les vitres sont encore en Asie à l’état de curiosité, que la plupart des fenêtres sont fermées avec du papier huilé, et que là où le papier même est peu commun, on y supplée en supprimant complètement les fenêtres et en se contentant de la lumière qui pénètre par la cheminée, lumière plus que suffisante pour fumer, pour boire, et pour donner le fouet aux enfans par trop rebelles : seules occupations auxquelles se livrent pendant le jour les houris mortelles des fidèles musulmans. Qu’on ne croie pas pourtant qu’il fasse vraiment très noir dans ces chambres