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tero, vient fort sérieusement supplier les cortès de former enfin une majorité qui laisse voir une tendance un peu suivie, qui manifeste une pensée politique sur laquelle on puisse se régler ; les cortès, à leur tour, somment le gouvernement de produire son programme, d’agir, d’exercer son initiative. Le gouvernement a publié son programme, les cortès ont voté des bills de confiance, et en fin décompte le gouvernement n’a pas été moins impuissant et moins incertain ; l’assemblée de Madrid n’a pas été moins livrée à toute la diffusion de délibérations stériles et sans règle. Le plus clair des travaux de l’assemblée espagnole jusqu’ici consiste en toute sorte de propositions qui se succèdent, et qui viennent battre en brèche l’organisation financière du pays ou le peu d’ordre politique qui survit. C’est ainsi que les cortès ont supprimé, il y a quelque temps, les droits de consommation et d’octroi, qui donnaient au trésor environ 150 millions de réaux. Et sait-on le moyen ingénieux qui a été adopté pour suppléer au déficit ? On a voté un emprunt. Le ministre des finances, M. Collado, n’a point goûté ce procédé d’économie politique, et il s’est retiré. M. Collado a été remplacé par un banquier très riche de Madrid. M. Sevillano, qui est un ministre très humoristique, et qui a proposé de couvrir l’emprunt de sa propre fortune au besoin. On voit qu’en Espagne on en revient à des procédés de gouvernement fort simples ; mais ce n’est pas tout. Les cortès ont supprimé la partie des impôts de consommation qui revenait à l’état ; elles n’ont point supprimé celle qui était affectée aux provinces et aux municipalités. Or qu’arrive-t-il maintenant ? C’est qu’on ne veut plus même de ce reste d’impôt dans les provinces. Sur plusieurs points ont éclaté des soulèvemens, et une de ces séditions a pris le caractère le plus grave à Malaga, où le gouverneur civil, H. Henri O’Donnell, frère du ministre de la guerre, s’est vu obligé de se retirer devant l’émeute et de donner sa démission. Pendant ce temps, sait-on à quoi est occupée l’assemblée de Madrid ? Elle discute sur la sanction des lois, sur la question de savoir si la reine a le droit de sanctionner les mesures législatives rendues par les cortès actuelles. C’est tout simplement la suspension de la royauté. Désordre financier et désordre politique, voilà le résumé de ces discussions étranges, Le parti progressiste, quand il est au pouvoir en Espagne, cherche partout la trace de conspirations organisées contre sa domination. Il n’y a d’autre conspirateur contre le régime progressiste que le parti progressiste lui-même, et il suffit à coup sûr, pour peu que l’état actuel de l’Espagne se prolonge.

La politique de l’Europe dans ses complications, dans tous ses incidens, se ressent nécessairement de cette complexité puissante d’intérêts, de ces traditions d’antagonisme, de ces luttes morales et intellectuelles inhérentes aux vieilles civilisations. Les questions qui s’agitent au-delà de l’Atlantique rappellent bien sans doute par mille traits l’origine européenne de ces populations répandues dans le Nouveau-Monde ; ces questions mêmes cependant gardent aussi, à travers tout, ce caractère propre aux civilisations qui ont de la peine à se former, à des races qui entrent avec l’inexpérience la plus complète dans la vie publique la plus large. L’Amérique du Sud a cela de particulier, que le droit international n’y est pas plus fondé et respecté que le droit politique intérieur. De L’anarchie, des insurrections mal étouffées et toujours