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les pentes prolongées de Givors à Saint-Étienne, ou dans les sinuosités tourmentées du chemin d’Andrezieux et du chemin de Roanne. En outre, à la descente, là où les pentes sont continues, comme de Saint-Étienne à Rive-de-Gier, les trains étaient lancés sur le flanc des montagnes, emportés par la seule force de la pesanteur.

Avec des combinaisons si diverses, le voyage sur ces chemins de fer était des plus pittoresques. Supposez-vous parlant d’Andrezieux pour Roanne : vous voilà, durant quelques kilomètres, remorqué par des chevaux ; puis une locomotive vous fait franchir huit ou dix lieues ; ensuite, à chaque pas, vous voyez changer les moyens de traction. Sur tel plan incliné, vous vous sentez hissé par les cordages de la machine fixe ; sur tel autre, ce sont les chevaux qui reparaissent ; ailleurs, à la descente, vous glissez rapidement par l’effet de votre propre poids, Quelquefois, quand deux pentes se rejoignent à un plateau étroit avec des inclinaisons analogues, on utilise le poids d’un train descendant sur un des flancs du coteau pour aider à en faire remonter un autre sur le flanc opposé, le danger à craindre avec les machines immobiles et dont la pensée seule donnait le frisson à quelques voyageurs, c’était la rupture des cordes. Si en pareil cas le conducteur d’un convoi n’avait pas été assez prompt à serrer les freins de manière à fixer les wagons sur les rails, on aurait roulé à reculons jusqu’au bas de la côte. Les capricieux arrangemens établis sur le chemin de Roanne, et résultant du tracé même, avaient sans doute nécessité un réel effort d’esprit chez ceux qui les avaient combinés ; mais la faculté inventive était ici, il faut le reconnaître, bien tristement appliquée. Les rectifications projetées aujourd’hui pour permettre sur cette route l’emploi exclusif des locomotives et la prochaine suppression des machines fixes semblent plus faciles à concevoir que les bizarres inventions des premiers ingénieurs, Le chemin de Lyon à Saint-Étienne n’avait point donné lieu à une variété aussi marquée dans les moyens de traction ; la vapeur finit par être employée sur tout le parcours. D’Andrezieux à Saint-Étienne, on ne s’est jamais servi à la fois que d’un seul moyen de traction ; seulement ce moyen a varié. À l’origine, on gravissait la montagne à l’aide des bêtes de somme. C’est même là l’unique mode que le fondateur de ce chemin avait eu en vue ; plus tard on y substitua les locomotives. Le premier essai de ce genre eut lieu en 1841. On employa une de ces machines à quatre roues, déplorablement mises hors de combat sur le chemin de fer de Versailles (rive gauche) après la catastrophe du 8 mai, qui vint ici fournir une nouvelle carrière et marquer le point de départ d’un progrès nouveau. La compagnie d’Andrezieux, n’exploitant qu’une voie très-courte, ne pouvait pas se livrer à de coûteuses expériences, et elle regardait comme une bonne fortune l’achat d’appareils réformés dans le service de lignes plus fréquentées. L’essai ayant réussi, on ne craignit pas de faire des commandes de machines neuves. Quant au matériel destiné aux voyageurs, il s’est aussi singulièrement transformé sur les chemins de la Loire. On avait commencé par se servir de voitures sans nom, voitures indescriptibles, qui conviendraient tout au plus aujourd’hui au transport des matières les plus grossières ; puis on était passé à des chars-à-bancs, et enfin les voyageurs avaient eu des wagons assez comfortables.