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tait alors singulièrement tendu d’ailleurs vers le perfectionnement des nouveaux engins, et on comprenait que l’avenir des chemins de fer y était subordonné.

Dans le temps même où ces premiers essais avaient lieu chez nos voisins d’outre-Manche, des travaux analogues s’exécutaient dans un pays plus lointain, sur l’autre rivage de l’Atlantique. Après s’être mis à l’œuvre avec la hardiesse et l’âpreté propres à leur caractère, les Américains du Nord avancèrent dans la voie de ces réalisations beaucoup plus vite que les Anglais. Des entreprises antérieures avaient déjà montré quelle importance ils attachaient à doter promptement leur pays de voies de communication. Nulle part il est vrai on n’en avait un égal besoin. Sur un territoire qui dès cette époque dépassait en étendue la moitié de l’Europe, il n’était possible de rendre réguliers entre les divers états de l’Union des rapports soit politiques, soit commerciaux, qu’en créant des routes nombreuses. Quand on songe qu’il fallait aller du fleuve Saint-Laurent au golfe du Mexique, des bords de l’Océan jusqu’aux grands fleuves de l’ouest, à travers la chaîne des Alleghanys, l’œuvre à accomplir semblait devoir exiger les efforts de plusieurs générations d’hommes ; mais les Américains du Nord répugnent trop essentiellement aux angoisses de l’attente pour se résigner à de longs délais. En toutes circonstances ils tiennent à exécuter tout de suite leurs projets, afin de pouvoir profiter eux-mêmes du fruit de leurs travaux. Grâce à ces tendances particulières à leur race, on les vit parvenir en peu d’années à des résultats qui tiennent du prodige. Non-seulement ils ouvrirent à la circulation les vastes plaines situées de l’un et de l’autre côté des Alleghanys, et qui ne leur présentaient que fort peu d’obstacles, mais ils escaladèrent en plus d’un endroit les montagnes centrales, et ils élevèrent tantôt les eaux d’un canal, tantôt les rails d’une route ferrée jusqu’à plus de 700 mètres de hauteur. Ce pays, nouvellement ouvert à l’exploitation d’un peuple civilisé, n’avait pas, il faut le dire, comme l’Europe, à lutter contre les entraves inhérentes à l’existence d’anciens intérêts. La propriété territoriale, éparpillée dans des solitudes sans bornes, appelait de tous ses vœux l’établissement de voies de communication qui devaient la rattacher au mouvement social. Si l’on excepte les environs de quelques villes de l’est, on aurait vainement cherché là ce qu’on appelle en Europe des propriétés d’agrément. Les propriétaires et les entrepreneurs des travaux de grande voirie devaient donc aisément s’entendre.

Le réseau des routes auxquelles les Américains avaient d’abord songé pour unir entre elles leurs diverses provinces était loin d’être achevé quand les canaux, et un peu plus tard les chemins de fer, vinrent attirer la préférence du public et des capitaux. Les États-Unis n’ont pas eu le temps de montrer sur ce point tout ce dont ils étaient capables ; on a pu juger seulement qu’ils se contentaient, pour y établir des voitures publiques, de voies extrêmement défectueuses, peu soucieux du péril, pourvu qu’ils eussent la chance d’arriver[1]. Les premiers canaux furent de même construits à la hâte. Le plus monumental de tous, celui qui joint le lac Érié à l’Océan, qui coûta plus de 45

  1. Le même esprit se manifeste dans l’établissement de la navigation à vapeur. On sait combien de désastres a entraînés, mais sans la décourager jamais, la témérité systématique des Américains.