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700,000 premiers voyageurs, on n’eut à déplorer que la mort d’un seul, et encore arriva-t-elle par suite de l’imprudence même de la victime. Le succès était complet, en peu de temps les actions doublèrent de valeur[1].

De semblables résultats étaient de nature à favoriser l’expansion des rail-ways. Bientôt on aspira de toutes parts à regagner le temps perdu depuis 1825 dans les luttes contre les canaux, les voitures à vapeur et surtout contre la propriété foncière. En 1834, quatre années seulement après l’ouverture du chemin de Liverpool, trente-trois compagnies nouvellement constituées embrassaient dans leurs projets un espace de plus de 400 kilomètres.

Le rail-way de Liverpool servit encore d’une autre façon la cause des chemins de fer ; il fut une arène ouverte à des essais journaliers sur la nouvelle application de la vapeur. Avant même de commencer l’exploitation de son chemin, la compagnie avait proposé un prix de 12, 500 francs pour la meilleure locomotive exécutée d’après des conditions précises. La récompense fut obtenue par M. George Stephenson. Le nom de cet ingénieur n’apparaissait pas alors pour la première fois dans les questions de chemins de fer, déjà même il jouissait d’une grande notoriété, George Stephenson était ce même constructeur qui, dès l’année 1814, avait fait l’essai d’une locomotive. Il avait été depuis l’un des ingénieurs du rail-way de Stockton à Darlington. Il avait figuré en la même qualité sur les premiers programmes du chemin de Liverpool à Manchester. Les adversaires des voies nouvelles dans le sein du parlement ou hors du parlement prenaient M. Stephenson comme le point de mire de leurs plus virulentes attaques. On a peine à comprendre aujourd’hui qu’on ait poussé aussi loin Les récriminations contre un simple particulier. On accusait tantôt l’ignorance et l’aveuglement de M. Stephenson, tantôt son orgueil et sa méchanceté. C’était un fou, mais un fou tout prêt à mettre le feu au temple de Delphes ! Ce visionnaire allait de gaieté de cœur ruiner les intérêts sociaux les plus sacrés ! — En personnifiant en lui la cause des chemins de fer, ses ennemis ne faisaient pourtant que hâter l’époque où M. Stephenson allait être entouré par son pays d’une considération sans égale, et les services qu’il avait rendus à l’Angleterre en l’initiant à l’exploitation des voies ferrées allaient devenir pour lui autant de titres de gloire.

Si nous nous reportons au moment de. sa mort, en 1848, vingt-deux ans à peine après les grands débats relatifs aux premiers chemins de fer, nous entendons déplorer sa perte d’un bout de l’Angleterre à l’autre comme un malheur national. Pas une voix ne s’élève pour protester contre les solennels hommages rendus à sa mémoire. On sait que l’excentricité anglaise, avait créé un roi des rail-ways, c’est-à-dire avait donné ce titre au personnage qui s’était le plus enrichi dans les spéculations de cette nature ; mais à côté de ce roi dans l’ordre financier, M. Stephenson était regardé comme le roi des chemins de fer dans l’ordre des inventions pratiques.

D’où était parti cet homme dont le nom est indissolublement uni à des faits si mémorables, dont le fils a été membre du parlement britannique,

  1. A History of the English rail-way, by John Francis. Cet ouvrage, qui s’occupe exclusivement des chemins de fer anglais, n’a pas toujours le ton et le mouvement de l’histoire : mais il renferme des détails statistiques intéressans et des faits curieux.