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exemple, et ceux d’un second canal construit peu d’années après le premier entre les deux mêmes points s’étaient entendus dès l’année 1810.

La guerre que les canaux soutinrent contre les premiers projets de voies en fer, guerre ardente, féconde en invectives et en chiffres faussés, se prolongea durant plusieurs années. On soutint d’abord que les chemins de fer étaient un rêve et une impossibilité, même en ce qui concerne les voyageurs ; puis, quand on fut obligé sous ce rapport de battre en retraite devant d’heureux essais, on continua du moins de contester leur utilité pour le transport des marchandises. On fit valoir les dépenses qu’occasionnerait le matériel nécessaire à cette fonction. Cette lutte, qui tenait à si peu de distance de nous les esprits en suspens, fournit encore, à l’heure qu’il est, des enseignemens utiles à recueillir. Ce furent les abus commis dans l’exploitation des canaux, ce furent les tarifs exagérés, les exigences tracassières, qui contribuèrent le plus, dans le principe, à rallier les négocians et les industriels à la cause douteuse des chemins de fer. Avec de la modération dans l’exercice de leur privilège, les détenteurs en auraient joui un peu plus longtemps. Cela est si vrai, que les promoteurs du rail-way projeté entre Liverpool et Manchester, inquiets sur les résultats de cette entreprise, essayèrent au dernier moment, mais en vain, de s’entendre avec les administrateurs des canaux. Il faut le rappeler hautement : plus le privilège se croit abrité sous d’inexpugnables remparts, et plus il aurait besoin de se défier de ses entraînemens. L’opinion de l’Angleterre, cette pensée publique habituée à se placer au-dessus des préoccupations individuelles, frappée elle-même des énormités reprochées aux canaux, y vit une raison de plus pour se rallier à la puissance nouvelle, encore entourée de mystères, qui promettait de mettre fin à d’aussi choquans abus.

Les esprits furent d’ailleurs préparés à l’idée d’utiliser la vapeur comme moyen de traction sur les routes de terre par l’emploi de cette même force dans la navigation. Entre ces deux applications d’un même principe, la connexité est en effet évidente. Poussée par instinct vers tout ce qui peut aider l’essor de son industrie et de son commerce, l’Angleterre se prononça pour la navigation à vapeur avec l’entraînement qu’elle avait mis dans la construction de ses canaux, et qu’elle devait porter un jour dans l’établissement de ses chemins de fer. Elle suivait dans l’application des découvertes industrielles une tradition déjà profondément tracée. Quand le génie de James Watt eut perfectionné les appareils à vapeur et en eut pour ainsi dire discipliné la rudesse, on en fit d’abord usage dans les usines et les manufactures. C’est là, après une première période de véritable enfance, le second âge de la grande invention qui devait si profondément réagir sur le monde. L’application de la même force à la navigation marque une troisième phase de son histoire. La réalisation de l’idée qu’à une époque déjà ancienne Denis Papin, et d’autres après lui, avaient plus ou moins bien conçue, plus ou moins essayé d’appliquer, doit véritablement être rangée parmi les gloires industrielles de notre siècle. Lorsque Fulton traversait, en 1807, sur son informe bateau à vapeur les eaux du lac Erié, c’était bien lui qui posait le point de départ d’un immense progrès dans les rapports entre les nations[1].

  1. Quelques publications d’outre-Manche ont essayé de moitié le nom d’un Anglais. M. Bell (de Helensbourg), avant celui de l’ingénieur américain ; mais M. Bell doit se contenter d’avoir construit le premier bateau à vapeur qui ait navigué en Europe : c’était en 1811, quatre ans après l’heureux essai de Fulton.