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auraient commencé par appeler au trône le duc de Reichstadt, mais que bientôt après ils se seraient débarrassés de lui par un assassinat et auraient proclamé la république avec un régime analogue à celui de 1793.

De tels discours peuvent avoir été, de la part de Napoléon, la manifestation d’impressions premières plutôt que de jugemens réfléchis ; les intermédiaires qui nous les ont transmis peuvent n’en avoir gardé qu’un souvenir imparfait. Je ne crains pas de dire cependant qu’ils ont un grand caractère de vraisemblance, qu’ils répondent parfaitement à la pensée habituelle de l’empereur telle qu’elle ressort de ses actes et de son caractère connu, et que si dans leur ensemble ils ne nous le montrent pas sous l’aspect qui plairait le plus aux esprits généreux et élevés, ils lui conservent au moins une physionomie dont la rudesse n’est pas sans grandeur, tandis que plusieurs de ses historiens, en lui prêtant après coup soit un libéralisme philanthropique et sentimental, soit une adoration niaise de la démocratie, étaient presque parvenus à tourner en ridicule cette gigantesque et terrible figure.

Ces mouvemens révolutionnaires pour lesquels Napoléon témoignait tant de dégoût faisaient craindre cependant au gouvernement anglais qu’il n’essayât d’en tirer parti. Le 12 avril 1820, lord Bathurst, tout en approuvant quelques facilités nouvelles que sir Hudson Lowe avait accordées à son prisonnier, lui recommandait de redoubler de vigilance et de se défier même des dispositions plus conciliantes et plus calmes qui sembleraient se manifester a Longwood. « La révolution qui vient d’éclater en Espagne, disait-il, et qui paraît être principalement l’œuvre de l’armée, a naturellement excité en France une grande fermentation, surtout parmi les restes de l’armée de la Loire. Dans de telles circonstances, le général Bonaparte apparaissant sur le territoire français serait certainement très bien accueilli, non-seulement par ceux qui lui sont personnellement attachés, mais par tous ceux que leur esprit révolutionnaire porte à désirer un changement quelconque… On ne peut donc douter qu’il ne soit fortement invité à s’échapper, et peut-être quelque entreprise est-elle déjà combinée à cet effet. » Une autre lettre de lord Bathurst, écrite quelques mois après, le 30 septembre, lorsque les révolutions de Naples et de Portugal avaient déjà suivi celle d’Espagne, et peu de semaines après qu’on eut découvert à Paris un grand complot militaire, exprime encore les mêmes inquiétudes et recommande les mêmes précautions.

Déjà cependant Napoléon, affaibli par une maladie dont la véritable nature était encore inconnue, n’était plus en état de penser aux vastes projets dont on s’effrayait à Londres. Le ministère anglais refusa longtemps de croire à la réalité ou du moins à la gravité de