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la grave responsabilité qu’il eût pu encourir en persistant dans ses rigueurs. Tout en continuant à témoigner au docteur son mécontentement par des procédés qui n’étaient pas toujours très judicieux, il consentit à suspendre, jusqu’à ce qu’on eût pu recevoir des ordres de Londres, l’interdiction dont il l’avait frappé, et à le laisser retourner à Longwood. Cette situation forcée se prolongea encore pendant quelques mois. Sur ces entrefaites, le ministère anglais avait acquis la preuve que le docteur s’était rendu le docile instrument des intrigues des prisonniers. Toute hésitation cessa dès ce moment, et sir Hudson Lowe reçut l’ordre de le faire partir sans retard pour l’Angleterre. Arrivé à Londres et animé contre le gouverneur d’un désir de vengeance auquel il devait donner plus tard une ample satisfaction, il remit à l’amirauté un mémoire où il donnait à entendre que ce général avait voulu l’engager à empoisonner l’empereur. L’amirauté, indignée de cette audacieuse calomnie, le raya des contrôles de la marine.

Napoléon s’opiniâtra longtemps à ne recevoir les secours d’aucun autre médecin. Au bout de quelques mois cependant, se trouvant sérieusement indisposé, il fit appeler, non pas celui que le gouverneur avait voulu mettre à sa disposition, mais un docteur Stockoë, chirurgien de la marine comme O’Meara. Stockoë ne tarda pas à exciter aussi les soupçons de l’autorité, devenue plus défiante. On lui reprocha d’avoir eu avec Napoléon et les autres prisonniers des communications étrangères aux devoirs qu’il remplissait auprès d’eux. Blessé de quelques paroles un peu vives que lui fit entendre à ce sujet l’amiral Plampin, successeur de sir Pulteney Malcolme, il ne voulut pas rester dans un poste aussi glissant et obtint de retourner en Angleterre. Ce qui est singulier, c’est que le gouvernement britannique crut devoir le renvoyer à Sainte-Hélène, non pas, comme on le crut d’abord à Longwood, en témoignage de désapprobation du blâme dont il avait été l’objet, mais tout au contraire pour le faire juger par un conseil de guerre sur le fait de désobéissance à ses instructions. Le conseil de guerre prononça contre lui la peine de la destitution. Les faits qui motivèrent sa condamnation ne sont pas bien connus. Autant qu’on peut en juger, il y avait eu de sa part plutôt un entraînement irréfléchi, une complaisance imprudente envers le grand homme avec qui il s’était trouvé en relations, qu’une connivence positive et préméditée. Après son éloignement, Napoléon, de plus en plus exaspéré, comme on peut bien le penser, repoussa plus que jamais l’assistance des médecins désignés par le gouverneur. L’arrivée du docteur Antonmarchi, choisi par son oncle le cardinal Fesch, sur l’invitation du cabinet de Londres, mit fin à cette difficulté.

J’entre dans bien des détails, dans des détails qui peuvent sembler