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peu décens par l’expression que révoltans par le sentiment qui les inspirait, n’épargnaient pas même des femmes qui, en se confiant à ses soins, ne devaient certes pas s’attendre à une trahison aussi odieuse.

Il faut dire que la correspondance du docteur O’Meara avec l’amirauté fut longtemps ignorée de sir Hudson Lowe, et que, lorsqu’il en apprit l’existence, il en témoigna un très vif déplaisir, parce qu’elle lui parut constituer un véritable désordre et empiéter même sur son autorité de gouverneur appelé à connaître et à diriger tout ce qui se passait dans l’île, par cela même qu’il y était responsable de tout. Le ministère anglais eût dû comprendre d’ailleurs qu’il y avait peu à compter sur la fidélité de celui qui pouvait oublier à ce point les devoirs de la délicatesse, ou, pour mieux dire, de la probité. Bientôt, soit qu’O’Meara crût plus utile à ses intérêts d’entrer dans de nouvelles voies, soit qu’il n’eût pu se soustraire ! à l’ascendant moral de Napoléon, il prit un autre ton, une autre attitude. Le caractère de sa correspondance avec l’amirauté se modifia. Elle devint hostile à sir Hudson Lowe, qu’il accusait d’aggraver le sort de ses captifs en multipliant des restrictions et des mesures de rigueur dont, suivant lui, tout le monde à Sainte-Hélène en dehors de l’état-major s’accordait à reconnaître la parfaite inutilité. Sir Hudson, à qui naturellement il ne tenait pas un pareil langage, ne tarda pourtant pas à s’apercevoir de ce changement de dispositions. Il lui fit, sur la manière dont il remplissait à Longwood les devoirs de sa profession, sur la position qu’il avait acceptée à l’égard de Napoléon, sur les informations qu’il se permettait de lui donner sans y être autorisé, des observations sévères que le docteur reçut très mal et même assez peu respectueusement. Il en résulta de très vives explications et une sorte de rupture. Un peu plus tard, O’Meara s’étant prêté à transmettre, sans en avoir donné avis au gouverneur, des présens destinés par l’empereur à deux ecclésiastiques anglais qui avaient rendu les derniers devoirs religieux à un de ses domestiques, sir Hudson Lowe, irrité outre mesure de cette intervention irrégulière, qui violait les règlemens établis, décida que l’auteur d’une telle infraction serait désormais soumis aux mêmes restrictions que les autres habitans de Longwood, et que, comme eux, il ne pourrait en sortir sans l’accomplissement de formalités assez gênantes. O’Meara déclara qu’à aucun prix il ne subirait la condition de prisonnier qu’on lui faisait ainsi, et il offrit sa démission des fonctions de médecin de l’empereur. Sir Hudson Lowe l’accepta d’abord ; mais Napoléon, dont la santé était dès lors assez sérieusement ébranlée, s’étant refusé d’une manière absolue à voir aucun autre médecin et ayant même affecté de craindre qu’en le séparant de l’homme de sa confiance, on n’eût pensé à se ménager les moyens d’attenter à sa vie, le gouverneur recula devant