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un spectacle pénible que ce qui se passait à Longwood. Peut-on affirmer avec la même certitude que ce spectacle fût mal calculé pour le résultat qu’on se proposait ? Il semblerait que ce mélange d’emportemens, de déclamations, de subtilités, dût amoindrir aux yeux de tous celui sur qui on s’efforçait d’appeler l’intérêt. C’est là une de ces erreurs où tombent fréquemment les esprits élevés et délicats que l’expérience n’a pas suffisamment habitués à se défier de leurs impressions personnelles, erreurs qui les exposent à de funestes mécomptes lorsqu’ils sont appelés au maniement des affaires. Ils se persuadent que la fausseté, l’exagération des sentimens et des idées qui révoltent leur intelligence produisent le même effet sur les masses. Ils se trompent. C’est par des moyens grossiers qu’on agit puissamment sur les imaginations vulgaires, surtout lorsqu’on veut les abuser ; c’est en frappant fort plus qu’en frappant juste qu’on réussit à les entraîner, et ces imaginations vulgaires composant en effet l’immense majorité, leur ébranlement forme bientôt une sorte d’opinion universelle à laquelle finissent par se laisser plus ou moins entraîner les esprits éclairés, quelquefois sans se rendre bien compte des élémens qui ont concouru à la constituer.


III

On put bientôt s’apercevoir des résultats de l’attitude prise par les prisonniers de Longwood. Les informations qu’ils faisaient parvenir en Europe, souvent par des voies clandestines, sur le traitement subi par Napoléon, étaient publiées dans les journaux anglais, et retentissaient même dans le parlement. Les ministres y opposaient des réponses dont l’exactitude matérielle produisait peu d’effet, parce que l’accent de dureté haineuse qui y régnait paraissait prouver que Napoléon était réellement entre les mains d’ennemis implacables, aussi étrangers à la modération qu’à la générosité. Comme il arrive toujours, comme on devrait toujours s’y attendre dans des circonstances analogues, une réaction commençait déjà à s’opérer en Angleterre, en France surtout, en faveur de l’homme illustre et malheureux que poursuivaient naguère les ressentimens de l’Europe, et il était facile de prévoir que cette réaction grandirait à mesure que le temps, faisant éclore des générations nouvelles, affaiblirait le souvenir des calamités dont il avait affligé le monde.

À Sainte-Hélène même, cette modification des esprits commençait à être sensible. Napoléon et ses amis avaient très bien compris que le meilleur moyen d’accréditer leurs accusations contre les ministres anglais et contre sir Hudson Lowe, c’était de les concentrer sur eux, sur ce dernier particulièrement, d’affecter de croire que les rigueurs qui leur étaient reprochées avec tant de virulence