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Montholon, de retour en France et visité par le même officier, qui s’efforçait apparemment de justifier sir Hudson Lowe, lui répondait : « Que voulez-vous ? Un ange descendu du ciel ne nous aurait pas convenu comme gouverneur de Sainte-Hélène. »

Ainsi s’explique, presque autant que par les souffrances véritables des prisonniers, le ton d’exaspération qui caractérisa presque constamment leurs rapports avec les agens anglais. Ces souffrances étaient grandes sans doute : pour Napoléon surtout, pour cette âme de feu, pour cet esprit dominateur, elles devaient être intolérables ; mais on voulait qu’elles pussent être comprises par toutes les imaginations, et dans cette pensée on ne craignait pas d’en surcharger le tableau, de faire appel aux instincts de la foule. Comme on ne pouvait guère espérer qu’elle se rendit un compte exact de toutes les douleurs morales du grand homme, on cherchait à exciter sa sympathie par des griefs plus appropriés à toutes les intelligences. Des réclamations incessantes, amères, injurieuses non-seulement contre ce qu’il y avait d’excessif dans les mesures de sûreté prescrites par le gouverneur, mais contre les précautions les plus simples exigées évidemment par la situation, des lamentations déclamatoires sur la mauvaise qualité ou l’insuffisance des alimens, du mobilier, des objets de chauffage, d’opiniâtres refus opposés à tous les expédiens que sir Hudson Lowe mettait en avant pour remédier à ces sujets de plainte, une attention minutieuse à signaler de sa part comme des insultes, comme des énormités, des procédés maladroits provenant d’un simple manque de tact, à dénaturer les propos les plus innocens pour y trouver une offense, une menace, quelquefois même à donner, par une interprétation forcée, un sens ironique et cruellement blessant à des paroles qu’il avait voulu rendre bienveillantes, — tel est, on peut le dire, le résumé des communications échangées, pendant plus de quatre années, entre sir Hudson Lowe et ses prisonniers. Tantôt le grand empereur s’abandonne aux plus violens emportemens contre sir Hudson Lowe, qu’il traite de bourreau, de brigand, d’homme sans honneur, et contre les ministres anglais, qu’il accuse de vouloir l’assassiner ; tantôt, dans ses conversations avec les Anglais admis en sa présence, dans les lettres et les notes qu’il dicte à ses serviteurs, ou dans ses entretiens confidentiels avec eux, il épuise toute la force, toute la subtilité de son esprit à contester la légalité des traitemens qu’on lui fait subir, il affaiblit par de pures chicanes ce qu’il y a de vrai, de fondé dans ses plaintes, et ne semble pas comprendre que, sous l’étreinte de la nécessité, le silence d’une résignation dédaigneuse est le seul asile où sa dignité puisse s’abriter. Pour quiconque aime la grandeur morale, pour quiconque éprouve le noble besoin d’aimer et d’admirer l’âme de ceux dont il admire le génie, c’est sans doute