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de l’île, quoique ce fût la seule où on eût pu l’établir d’une manière vraiment convenable, et qu’on le relégua à Longwood, maison de campagne occupée jusqu’à cette époque par un simple lieutenant-colonel sous-gouverneur, demeure tellement insuffisante, malgré les additions et les réparations qu’on y fit à la hâte, qu’on dut bientôt reconnaître la nécessité d’en construire une autre, qui venait seulement d’être achevée lorsque la mort de l’empereur la rendit inutile. On avait pensé apparemment que déloger le gardien au bénéfice du prisonnier, c’eût été traiter ce dernier autrement qu’on ne traite un prisonnier ordinaire, et c’est précisément ce qu’on ne voulait pas.

Ce système renfermait, on peut le dire, le germe de tous les incidens pénibles, de toutes les collisions qui devaient marquer d’un caractère si déplorable la captivité de Napoléon. Le choix du fonctionnaire que le cabinet de Londres chargea de l’appliquer fut mal calculé d’ailleurs pour en atténuer les inconvéniens. On aurait dû se préoccuper avant tout de la nécessité d’appeler au gouvernement de Sainte-Hélène un homme ferme et exact, mais qui, par l’élévation, la liberté, la largeur de son esprit, la bienveillance de son caractère, l’agrément de ses manières, fût en mesure de tempérer la rigueur des devoirs dont on le chargeait, qui, par sa position, fût assez considérable pour ne pas craindre de prendre beaucoup sur lui et d’agir au besoin suivant les circonstances. Un tel homme, j’en conviens, était difficile à trouver, surtout dans le parti qui gouvernait alors l’Angleterre, et s’il eût existé, on peut douter qu’il eût accepté facilement une telle mission. Ce qui est certain, c’est que cet homme n’était pas sir Hudson Lowe, qui, malgré une carrière honorable, une véritable capacité à certains égards et, quoi qu’on ait pu dire, une conscience droite et même scrupuleuse ; était, sous bien des rapports essentiels, particulièrement impropre au poste qu’on jugea à propos de lui confier.

Il n’appartenait pas à cette aristocratie qui alors dominait de si haut la société anglaise. Fils d’un chirurgien militaire, né, par une singulière coïncidence, la même année que Napoléon, engagé dès son plus jeune âge dans la profession des armes, sa carrière avait été aussi lente qu’active et pénible. Pendant bien des années, par un autre hasard non moins bizarre, il avait commandé en Corse même, en Égypte, en Sicile, dans le royaume de Naples, dans les Iles-Ioniennes, des corps d’insurgés et de réfugiés corses au service de l’Angleterre. Il avait fait preuve de sang-froid, de courage, d’instinct militaire, et même de quelques talens administratifs dans un bon nombre d’expéditions difficiles et laborieuses, mais qui, accomplies loin des grands théâtres où se décidaient les destinées du monde, n’appelaient que médiocrement l’attention publique, et ne désignaient ni à la faveur ni à la gloire ceux qui y prenaient part. Aussi,