Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réussi, le succès de ses efforts en faveur de sir Hudson Lowe a dépassé ce que pouvaient en attendre les esprits les plus enclins à se défier des accusations passionnées qui accablent encore la mémoire du gouverneur de Sainte-Hélène. Je ne me dissimule pas qu’en émettant une pareille opinion, je m’expose à soulever des réclamations nombreuses. Cette opinion, je n’y suis pas arrivé moi-même sans avoir à surmonter la répugnance qu’éprouve tout esprit sincère et sérieux à renoncer à une conviction depuis longtemps établie. Sans ajouter une foi entière à des récits dont l’artifice est souvent déjoué par la maladresse de la passion qui les a dictés, j’y avais puisé, je l’avoue, contre le gardien de Napoléon les préventions les plus défavorables, et je m’abandonnais à ces préventions avec d’autant moins de scrupule, que je les voyais plus ou moins partagées par presque tous les hommes qui avaient étudié la question, sans en excepter les moins bienveillans pour l’empereur. Cette appréciation s’est beaucoup modifiée, pour ne pas dire plus, à la lecture du livre de M. Forsyth. Obligé, dans le travail que je vais entreprendre, de résumer, de condenser les faits qui ont agi sur ma conviction et de me borner le plus souvent à en présenter la substance et le caractère général, je ne sais si je pourrai transmettre tout entière à mes lecteurs l’impression qu’ils ont produite sur moi par leur multiplicité et par leurs détails. J’espère du moins inspirer aux rares amis de la vérité le désir d’aller la chercher à sa source, en bravant la fatigue d’une lecture que la prolixité inévitable d’un mémoire apologétique rend peu attrayante, malgré l’ordre lucide que l’auteur a porté dans la distribution de ses immenses matériaux, malgré la clarté et la simplicité de son style.

Ce ne sont pas là les seules qualités qui distinguent son travail. Il y aurait sans doute de l’exagération à prétendre qu’il est composé avec une entière impartialité, et qu’on n’y trouve aucune trace des préjugés nationaux, des préventions de parti que le sujet réveillait naturellement. Néanmoins peu d’écrivains anglais ont su s’en garantir à ce point, et là même où M. Forsyth y cède dans une certaine mesure, c’est avec une modération de sentimens, une convenance de langage que ses compatriotes ne portent pas toujours dans la polémique. S’il apprécie Napoléon avec une sévérité qui pourra sembler excessive à beaucoup de Français, jamais il n’oublie en parlant de lui le respect dû à l’un des plus puissans génies qui aient existé. Si les torts très réels de plusieurs des compagnons d’exil du grand empereur trouvent souvent en lui un juge rigoureux, il a soin d’indiquer les circonstances qui peuvent leur servir d’excuse, et il se complaît surtout à rendre justice à ceux de ces exilés qui lui paraissent avoir supporté leur malheur avec plus de patience et de dignité. Enfin, dans les questions de principes, il s’efforce, autant que cela est compatible avec