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périls et les difficultés d’une telle entreprise, l’histoire les dira, le monde les doit connaître ; mais quel peuple peut affirmer qu’il les aurait mieux franchis ? La France ne se défend pas assez ; elle croit trop s’être trompée. Tantôt par ses découragemens, tantôt par son silence, elle autorise les injustices de l’étranger, et semble trouver la consolation de sa vanité à gémir ou même à sourire de ses erreurs. Il y a une limite à la sévérité pour soi-même : c’est celle où elle deviendrait le mépris de soi-même. Que chacun de nous ait ses aversions et ses préférences, rien de plus simple. Qu’il choisisse dans un passé qui n’est que trop divers ce qu’il accepte et ce qu’il désavoue, il le faut bien ; mais que chacun reste fidèle à ce qu’il a pensé, et ne livre pas l’honneur de sa cause, après avoir été forcé d’en abandonner le succès. De l’honneur de chaque parti se compose l’honneur collectif de la France, et à nous défendre, nous défendons tous quelque chose d’elle. Puis, la part faite à la sainteté de nos engagemens, à la dignité de nos convictions, élevons-nous au-dessus même de notre point de vue individuel, et regardons seulement de quel côté se relève la patrie.

Depuis bien longtemps, la France n’a tenu une grande place en Europe que par une de ces trois choses, les armes, le libéralisme, les lettres. Or aujourd’hui que lui reproche-t-on quand on la juge ? Je répète les accusations et je n’y souscris pas. On veut que la France ait pendant longues années usé ses forces en de stériles combats de parole. On prétend qu’avec une littérature perverse et mercantile pour passe-temps, elle n’a connu de sérieux travaux que ceux qui gagnent la richesse pour acheter l’oisiveté. On la dépeint comme épuisée par la lassitude des révolutions, l’abus des théories, la passion énervante du luxe et du bien-être. Que dirai-je de plus ? On les connaît ces outrageantes plaintes, dont la faiblesse se fait des prétextes pour désespérer de tout. Et cependant, au bruit de cette tribune retentissante qui consumait, dit-on, toute l’énergie nationale, se sont formés ces soldats dont s’entretient l’univers. Du sein de ces corruptions dont on fait tant de bruit s’est élancée cette armée qui ne le cède en vertus militaires à aucune de celles qui l’ont précédée dans l’histoire, cette armée que la liberté et la paix ont formée à tous les arts de la guerre, sans lui rien ôter apparemment de sa vigueur dans l’action et de sa fermeté dans le péril. La France peut, pour toute réponse, la montrer à ses détracteurs ; mais surtout qu’elle la regarde et qu’elle ne s’humilie plus.


CHARLES DE REMUSAT.