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pas comme un reproche, quoique, sévèrement circonscrite dans son domaine, l’économie politique fût loin d’épuiser toute la science de l’homme en société ; mais si l’on présuppose, comme cela va sans dire, les principes d’éternelle morale, si l’on tient compte d’ailleurs des monumens de l’histoire dont les plus augustes sont les libertés publiques, rien n’est plus sage que de sans cesse rapporter les projets d’amélioration, les vues organiques aux faits réels de la société, aux conditions dans lesquelles elle se meut nécessairement, et qui pour la plupart se connaissent par les phénomènes dont l’observation s’appelle économie politique. Le socialisme d’ailleurs s’attaque plus encore à l’ordre économique qu’à l’ordre politique ; il s’occupe plus des besoins et des appétits de notre nature que des principes et des croyances de notre raison. Les réformes qu’il prêche et les réformes qu’il faut lui opposer sont en général de celles qui intéressent encore plus le bien-être que la dignité des bommes. M. Greg fait donc fort bien de se montrer un excellent économiste pour traiter les problèmes dont nous nous occupons après lui. On demandait à l’archevêque de Dublin, qui est lui-même en ceci une haute autorité, si le socialisme était à craindre pour l’Angleterre. — « Non, disait-il ; ou y sait trop bien l’économie politique. »

On connaît l’esprit qui anime M. Greg : arrivons maintenant à quelques-unes des questions soulevées dans son livre, et qui marqueront autant de points séparés dans la suite de cette discussion, depuis les réformes civiles et sociales jusqu’aux réformes politiques.

I. — Si l’on jette un regard sur la société civile en Angleterre, on ne voit rien dans sa constitution qui la distingue sensiblement de toute autre, hors un point que tout le monde remarque : c’est le droit de primogéniture, ou plutôt c’est la liberté illimitée de tester, restreinte seulement par la faculté des substitutions, laquelle est originaire même de la liberté qu’elle restreint.

L’examen de la question du droit d’aînesse ne peut trouver place ici : à peine en rappellerons-nous quelques effets. Remarquons d’abord que ce droit n’est ni aussi inhérent ni aussi favorable à l’aristocratie qu’on le prétend. La plus célèbre aristocratie du monde, le patricial de Rome, ne le connaissait pas, et il ne manquait pas à la grandesse espagnole : c’est tout dire. En Angleterre, il n’est point un privilège de noblesse ; il est dans la loi commune, il est dans les mœurs de tous. On voit encore cela dans quelques-unes de nos provinces. Quant à l’aristocratie, il a cet effet de servir à la renfermer dans l’enceinte où la constitution l’appelle. La noblesse anglaise se concentre dans la pairie, c’est-à-dire dans un seul homme de chaque race noble ou anoblie. Il ne se forme point, en dehors du privilège politique des aînés, une classe à part sans attributions légales, sans un caractère déterminé,