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d’avance on a pu s’y préparer. Chatham lui-même projeta une réforme parlementaire. « Des jurés qui ne peuvent juger, écrit-il dans l’intimité à lord Stanhope, des électeurs qui ne peuvent élire et des sujets souffrans qui ne peuvent pétitionner pour demander soulagement, voilà qui composera un joli système de gouvernement anglais. Le père D’Orléans n’oserait avouer un tel gouvernement sans rougir. David Hume peut-être en ferait l’apologie. » Burke, si passionné pour les antiquités légales de sa patrie, déclarait la guerre aux abus corrupteurs, aux moyens consacrés de vénalité. La complète liberté religieuse des dissidens, l’émancipation des catholiques, étaient proposées dans la chambre des communes. Pitt et Fox à l’envi attaquaient le système électoral. Jusque sous le régime à demi oppressif qui suivit les intérêts populaires ne furent pas tout à fait oubliés. « Il faut, écrivait en 1792 lord Grenville, alors secrétaire d’état, défendre notre constitution, et par-dessus tout rendre la situation des classes inférieures chez nous aussi bonne qu’il est possible[1]. » Un sentiment plus sympathique envers elles se fit jour à la faveur d’un retour de zèle religieux : il se forma dans l’église une école, un parti, le parti évangélique, représenté dans le parlement par les Wilberforce et les Buxton. L’abolition de la traite annonça celle de l’esclavage, grande victoire de l’égalité naturelle et chrétienne ! La réforme des prisons fut commencée ; les écoles des pauvres, les écoles du dimanche, d’autres œuvres destinées à relever peu à peu les classes infinies de toute dégradation, attestèrent cette préoccupation du sort du grand nombre dont M. Greg félicite son siècle. Et lorsque la paix vint donner à ces sentimens d’amélioration générale un plus libre essor, ce ne fut point par une violente secousse, mais par un progrès plus rapide et plus étendu que l’Angleterre fut portée au sein de cette crise de réforme que nous observons en ce moment. Ici cependant se retrouve la question que nous posions au début : — que faut-il espérer ou craindre ? Cette crise de réforme est-elle le prodrome d’une révolution ? Avec l’écrivain que nous venons de nommer, nous sommes du parti de la sécurité, et nous allons déduire brièvement ses motifs.

La réforme parlementaire suivie de celle des corporations, c’est-à-dire de la réforme municipale des villes, a constitué le gouvernement et l’administration de la classe moyenne, ou plutôt l’intervention régulière et l’influence légale de cette classe dans le gouvernement et l’administration. De nombreux changemens se sont succédé, qui sont autant de pas dans la même voie ; mais en même temps le sort de cette classe de citoyens qui vivent uniquement ou en majeure partie

  1. Mémoires et Correspondance de For. t. III. p. 9.