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dix ou douze ans ont contribué avec le plus de fécondité à la rédaction collective des revues anglaises. Il a traité dans plusieurs recueils, avec la liberté d’une raison calme, les plus sérieuses questions qui intéressent, qui agitent les sociétés modernes. Les différentes opinions en Angleterre, à part celle du torisme absolu, se sont tellement rapprochées, qu’un écrivain, pas moins et plus encore qu’un homme d’état, aurait de l’embarras et de la répugnance à se parquer aujourd’hui dans un parti déterminé, et à s’engager sous la bannière exclusive d’une secte intellectuelle. C’est d’ailleurs le caractère distinctif de l’esprit de M. Greg, aussi bien que la tendance de son temps et de son pays, de ne point penser sous la dictée d’une école ou dans les formes étroites d’un système. Il n’est naturellement dépendant d’aucune tradition ; il se pique de répudier les préventions héréditaires des associations politiques, de tout observer avec complaisance, de tout juger avec hardiesse. Il aspire à une impartialité qui n’exclut ni la sévérité ni la bienveillance ; dans toutes les choses qu’il a pu étudier par lui-même, il nous parait qu’il a réussi à voir le vrai sans préjugé et à le dire sans faiblesse. Il est résulté de cette flexibilité raisonnable que tandis qu’autrefois la plupart des auteurs s’attachaient presque exclusivement à une nuance d’opinion et à l’œuvre périodique qui la représentait avec le plus d’exactitude, M. Greg a pu sans versatilité ni disparate coopérer à des recueils différens, à l’Economist et au North British Review, à la Revue d’Edimbourg et à la Revue de Westminster, l’une si longtemps le libre organe du parti whig, l’autre consacrée à la défense d’un radicalisme éclairé. C’est un choix de ses articles ainsi publiés diversement, ce sont sans aucun doute les plus remarquables et les plus importuns qu’il a réimprimés l’année dernière sous le titre d’Essais sur la science politique et sociale ; et quoiqu’un tel recensement ne soit pas précisément un livre, les sujets abordés ont une telle liaison, les idées exprimées un tel accord, que l’unité de composition est venue pour ainsi dire après coup, et que l’on peut lire cette série de fragmens avec presque autant de suite ; et de profit qu’un traité sur l’état de la société politique en Angleterre et dans le reste de l’Europe au milieu du XIXe siècle.

L’auteur n’est ni peelite, ni whig, ni radical : il est libéral et réformiste. Quand on l’entend insister avec opiniâtreté sur la valeur de l’expérience, sur l’autorité des précédens, sur la puissance des habitudes nationales, sur le danger des innovations précipitées et indéfinies, on dirait un pur conservateur. Lorsqu’il expose les motifs d’abolir ce qui reste d’abus consacrés, les périls de la routine ecclésiastique, économique et même parlementaire, la nécessité de procéder hardiment et promptement à l’amendement des choses réformables,