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— Oui, répliqua Dindigal, je suis ce fou qui a sauvé votre fille ce matin, et elle avait peur de moi plus que de la vague qui allait l’engloutir ; je suis fou en vérité, car j’ai passé bien des nuits à cultiver ce jardin pour plaire à votre fille, et elle a été tout épouvantée de le revoir en si bon état. Je suis fou quand je m’éloigne d’ici, et fou quand j’y reviens… Palaça, que t’ai-je donc fait pour que tu me traites si durement ? Tu trembles devant moi comme devant une bête malfaisante ; je ne t’ai adorée pourtant que de loin, et je n’ai pas même osé baiser la trace de tes pas.

Palaça se cachait derrière son père, qui ne comprenait rien au langage exalté du Makoua.

— Ce n’est ni pour votre argent, ni à cause de vous que je l’ai sauvée, reprit Dindigal avec impétuosité ; quand la vague l’a prise, il m’a semblé qu’elle n’appartenait plus à personne ; je me suis élancé sur elle comme sur une proie. Elle tremblait sous l’eau, et j’ai eu pitié de sa faiblesse… Tu as raison, Palaça, je suis un pauvre fou. Ce n’est pas ta faute si les dieux, qui t’ont faite si belle, m’ont créé dans une condition abjecte. Je n’avais aucun droit sur toi… Ne crains rien, Palaça, la corneille ne viendra plus effaroucher le cygne blanc. En ton absence, tes fleurs séchaient de regret de ne plus voir leur reine chérie au milieu d’elles. Je les ai arrosées de mes mains, c’est vrai ; mais leur parfum a déjà purifié l’air souillé par la présence du Makoua.

À mesure que Dindigal parlait, sa voix perdait l’accent de la colère, et son attitude devenait moins menaçante. Palaça, d’abord épouvantée par la violence de ses mouvemens, s’était tenue cachée derrière son père. Emue enfin et comme attirée par les dernières paroles du Makoua, elle jeta sur lui un regard de douloureuse pitié et se mit à pleurer.

— Non, non, reprit Dindigal ; il ne faut pas verser des larmes… Réjouis-toi plutôt, Palaça ; souris à ces fleurs, à ton père, à la jeunesse qui brille sur ton front… - En achevant ces paroles, il s’agenouilla sur la poussière, puis se releva précipitamment et partit.

— Écoute, pêcheur, s’écria le vieux cossever : c’est sans doute en expiation de quelque grosse faute commise dans une existence antérieure que tu as été condamné à vivre sous la forme d’un Makoua. Tu pourras renaître dans une condition meilleure, si tu accomplis de bonnes œuvres.

À cette consolante observation, Dindigal répondit en secouant tristement la tête. Marchant à grands pas et comme au hasard dans les étroits sentiers bordés de plantations, le Makoua repassait dans son esprit tous les incidens de sa misérable existence. À travers les dégoûts d’une condition à laquelle il ne pouvait pas se soumettre, il