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sur le port, où l’on avait besoin de bras pour réparer les avaries causées par la tempête. Bettalou décida son frère à l’accompagner de ce côté ; Dindigal se mêla pendant quelques heures aux gens qui travaillaient sur la plage, puis, au milieu de la journée, s’étant esquivé sans que personne l’aperçût, il alla droit au jardin du cossever, que le vent et l’orage n’avaient guère respecté. Les cocotiers, dont les tiges étaient brisées, dressaient dans les airs leurs fronts chauves ; la maison du potier, légèrement construite, comme toutes celles du voisinage, avait beaucoup souffert. Quelques ouvriers, appelés par le vieillard, délayaient du mortier pour boucher les trous de la muraille, lézardée en maints endroits : l’un versait l’eau de son outre sur la terre glaise ; les autres, portant l’enduit dans de petits paniers, couraient après les maçons, qui faisaient le tour de la maison en montrant avec beaucoup de gestes ce qu’il y avait à faire. Les travailleurs criaient et se remuaient à l’envi, mais en réalité ils faisaient bien peu de besogne. De son côté, seule à l’autre extrémité de l’enclos, Palaça, armée d’une bêche, s’efforçait de creuser une rigole qui livrât passage aux eaux de la pluie répandues partout sur la place qu’occupaient ses fleurs avant l’ouragan. Dès qu’il la vit, Dindigal se glissa furtivement près d’elle ; à genoux sur le sol détrempé, il se mit à travailler de ses deux mains, couvert de vase comme un barbet qui a trotté dans un chemin de traverse par une nuit de décembre. Il eut bientôt creusé un large canal dans lequel s’épancha la masse d’eau qui baignait tout le jardin.

— Mon père ! s’écria Palaça toute joyeuse de ce que ses fleurs reparaissaient au soleil, venez donc voir ! Le mal n’est pas aussi grand que nous l’avions pensé… Rien n’est arraché dans mon parterre.

— Enfant ! répondit le vieillard, tout est sauvé parce que tes fleurs n’ont pas péri ! Tu as donc pris un ouvrier pour t’aider dans ta besogne ?

— Est-ce que ce n’est pas vous qui me l’avez envoyé, mon père ?

— Moi ? répliqua le cossever, j’en ai bien assez autour de ma maison.

Pris entre le vieillard et sa fille, Dindigal travaillait toujours, n’osant lever la tête. Palaça recula, toute surprise de se trouver si près d’un inconnu qui n’avait point été appelé par son père, et celui-ci frappa doucement sur l’épaule de Dindigal.

— Holà ! jeune homme, toute besogne mérite salaire ; mais qui travaille sans qu’on l’appelle court risque de perdre sa peine.

— Je ne demande rien non plus, répliqua doucement Dindigal. Le cossever se pencha vers sa fille et lui dit à voix basse : — Il faut le renvoyer, mon enfant : c’est peut-être quelque voleur qui