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— Comment ! Nandi, lui cria son maître un peu désappointé, vous êtes bien sûr que ce respectable jeune homme est l’ami des dieux et qu’ils lui accorderont prospérité et richesses ?

Un peu ennuyée du manège qu’on lui faisait faire, la bête savante s’obstina à répondre affirmativement à toutes les questions que lui adressait le Lambady. — Soyez attentif, Nandi, continua le bateleur ; est-ce bien à ce jeune homme que vous promettez le bonheur ?… Vous secouez la tête de haut en bas !… Oui ; eh bien ! que réservez-vous donc à celui qui l’accompagne, à l’autre Makoua, qui voudrait bien aussi avoir sa part de prospérité, j’en suis sûr, car il a l’air tout chagrin, le pauvre jeune homme ! .. — Que lui promettez-vous ? Des traverses, des malheurs !… Ah ! pêcheur, je vous plains, car Nandi ne s’est jamais trompé !…

L’assistance éclata de rire a cette remarque du Lambady, et toutes les têtes se tournèrent vers Dindigal, le plus jeune des deux Makouas, qui s’efforçait de cacher son dépit, Bettalou, très satisfait au fond du cœur de la réponse de Nandi, n’en regardait pas moins avec un certain trouble les gros yeux ronds du bœuf savant toujours fixés sur lui. Il lui semblait que la bête intelligente allait parler de cette voix mystérieuse que l’imagination des Hindous, ignorans et timides, prête aux animaux sorciers. Il se retirait donc à reculons et tout doucement, lorsque Nandi fit un bond, et une voix sourde, que tout le monde entendit, articula distinctement ces mots : « Après quelques minutes de repos, Nandi va reprendre ses exercices. »

Qui donc avait ainsi parlé ? Le bœuf Nandi, sans nul doute, car le Lambady semblait fort occupé à compter sa recette. La foule demeura tout émerveillée de la sagacité et de l’esprit du gentil animal. Durant l’intermède qu’il avait annoncé lui-même, les spectateurs se pressèrent à l’envi autour du petit bœuf en lui offrant des friandises ; gâteaux, sucreries, Nandi avalait tout. Chacun voulait le flatter de la main, caresser son poil doux et lisse. On était surpris de trouver tant de simplicité et si peu d’orgueil chez l’intelligent animal qui savait entendre et parler le langage des hommes.

Différemment impressionnés par ce qu’ils venaient de voir et d’entendre, les deux Makouas se mirent en devoir de traverser la ville pour retourner sur le bord de la mer, où s’élevait leur cabane. Il faisait nuit depuis une heure. À ce moment de la journée, les Européens, employés civils et militaires, négocians et marchands, ont quitté le fort et la ville de commerce pour aller chercher dans leurs maisons de campagne un peu de repos et le silence. Pour eux commence la vie de famille et d’intérieur. Les indigènes au contraire, reprenant avec plus d’aisance et de liberté leur existence en plein air, sortent des sombres quartiers où ils étouffent durant le