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que je regrette, c’est de reconnaître ici un faire par trop égal : un pinceau qui termine tout avec le même soin devient monotone. Pourquoi M. Bouguereau ne traite-t-il pas son modèle comme ces traducteurs habiles qui nous rendent l’esprit et le coloris du texte, mais nous font grâce du mot à mot ? Manquerait-il de verve et d’inspiration en présence de la nature ? Serait-ce pour cela que son évêque est étriqué et vulgaire ? Plus d’accent et plus d’ampleur auraient rendu son œuvre parfaite. N’importe, nous persistons à croire qu’il faut espérer beaucoup d’un jeune homme déjà si savant dans son art et qui ne s’approche plus des maîtres qu’avec de respectueuses sympathies. Il vient de prouver que, sans avoir vécu à Madrid ou à Anvers, il est possible de l’aire d’excellente peinture, et, qui plus est, qu’un séjour de trois années a la villa Médicis ne saurait rien gâter.

M. Baudry est l’antipode de M. Bouguereau, ce qui démontre que toutes les aptitudes se trouvent pleinement à l’aise à l’Académie de France. Ce n’est pas moi qui reprocherai à M. Baudry sa charmante fantaisie, la Fortune et l’Enfant, ce véritable coup de tête qui me fait apercevoir en lui un futur favori de la foule, si bien disposée d’ordinaire pour les audacieux. M. Baudry est un habile coloriste. Sa jeune palette se couvre des tons les plus délicats et les plus harmonieux. Toutefois nous l’attendons à l’année prochaine pour mieux constater son individualité.

Rome n’est pas éloignée de Syracuse ; M. Boulanger vit donc sous le ciel qui éclaira Théocrite. Alors d’où lui vient cette singulière idée de s’adresser aux ballades de Schiller’ ? Il en est résulté une sorte d’Arcadie germanique où deux figures d’étude grimacent la joie. Laissons M. Boulanger, aussi mal préparé, à ce qu’il nous semble, à rendre la sentimentalité allemande que l’églogue grecque, laissons-le côte à côte avec M. Chifflard, qui fera bien, quand il enverra une nouvelle figure, de lui donner un coloris moins désagréable et un aspect plus saisissant : il faut dire un mot du tableau de M. Lecointe, que je me hâterai de ranger parmi lis paysagistes sérieux. Suivons l’artiste dans cette gorge profonde couronnée de palmiers que le veut du matin semble doucement agiter. De quelles teintes mélancoliques et douces les premières lueurs du jour colorent ces riches perspectives ! Il est fâcheux que le nimbe du Christ forme tache au milieu de cette poétique obscurité. On peut aussi se demander pourquoi le peintre n’a pas desséché complètement le figuier à droite dans un tableau désigné sous cette rubrique : le Figuier maudit.

N’est-il pas un peu secondaire, le rôle de la sculpture, dans l’envoi de cette année ? Nous avons cependant à citer un excellent morceau, le plâtre de M. Gumery : Faune jouant avec un chevreau. Comme ce faune est vif et gai, comme il est heureux de vivre de sa vie de faune ! En le voyant, on croit sentir l’odeur du serpolet dans les montagnes de la Sabine. Passons devant l’Orphée de M. Thomas ; son ciseau est trop dogmatique pont nous arrêter ; mais avant de quitter la statuaire, remercions M. Bonnardel de nous avoir rendu le célèbre bronze d’Herculanum, ce Mercure, le plus leste de tous ceux dont Jupiter ait mis l’agilité à contribution.

Quand on voit que cette simple et modeste exposition de quelques élèves est pourtant si pleine et si forte, on éprouve une haute estime pour l’école de Rome. Est-ce à dire que l’institution est parfaite ? Loin de là, l’école de