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BEAUX-ARTS.
LES DERNIERS ENVOIS DES PENSIONNAIRES DE ROME.

Parmi le petit nombre d’institutions que les révolutions n’ont point détruites, il faut compter l’Académie de France à Rome. Debout encore au milieu de tant de ruines, la noble colonie de la villa Médicis se trouve rajeunie chaque année par les nouveaux lauréats de l’École des Beaux-Arts. Malgré les services rendus et ceux qu’elle peut rendre encore, l’école de Rome a des ennemis. Réunis contre elle, artistes et gens de lettres l’ont attaquée à plusieurs reprises. Le premier qu’il faille nommer parmi les assaillans n’est autre qu’un de ses propres enfans, qui depuis, il est vrai, semble avoir fait amende honorable : on voit, dans la correspondance de Girodet, que ce peintre érudit considère que le meilleur moyen de former de véritables artistes, c’est de les laisser voyager à leur fantaisie. Il n’y a pas longtemps encore, un romancier dont la veine inépuisable enrichit les cabinets de lecture battait à son tour en brèche l’Académie de France ; il s’étonnait de la voir vivre, et demandait s’il n’était pas cent fois plus raisonnable d’envoyer chaque prix, selon son aptitude, étudier Rubens à Anvers, Murillo à Madrid, Cornélius à Munich, au lieu de le diriger sur Rome pour y copier Raphaël et Michel-Ange ! Que certains talens furibonds se déclarent les adversaires de l’école de Rome, parce que ses œuvres, à certains égards, condamnent les leurs, il n’y a là rien qui doive surprendre. Le malheur est qu’ils trouvent de nombreux auxiliaires dans ces éclectiques au goût affadi, qui pèsent dans une même balance Raphaël et Téniers. Aussi depuis longtemps on assure que l’école de Rome est agonisante. L’école de Rome n’est point morte cependant, elle n’a pas envie de mourir.

Que prouvent ces attaques multipliées ? Rien, si ce n’est passablement d’ingratitude envers une institution dont le plus grand tort est d’avoir vieilli. Si l’école de Rome ne fait pas toujours de grands artistes, — à Dieu seul il appartient de donner le génie, — du moins elle indique au talent, tout prêt à fleurir, quel est le chemin qui mène vers les hauts sommets. Elle est à l’artiste ce que Gœttingue, ou bien Oxford, et un peu notre Collège de France sont aux esprits jeunes, ardens et studieux, qui souhaitent d’aller plus avant. C’est la véritable voie Appienne par où a passé cette grande tradition qui remonte à la Grèce. Peut-être qu’un jour, comme les universités ses sœurs, elle servira de camp retranché contre l’ignorance et la barbarie qui sont toujours à nos portes. En attendant, demandez à ces élèves qui assiègent le péristyle de l’Institut si le grand prix de Rome n’est pas une amorce et un aiguillon ! Et d’ailleurs, comment cette Italie, si justement nommée la terre promise de l’imagination et des arts, exercerait-elle en vain le. pouvoir de ses mystérieux attraits sur de vrais artistes ? Vouloir échanger l’antique métropole des arts contre Anvers ou Munich, remplacer Michel-Ange par M. Cornélius est un de ces paradoxes que tout l’esprit du monde ne saurait rendre viables. N’est-ce donc rien d’ailleurs que d’enlever nos lauréats à ces ateliers changés en tabagie, à cette vie turbulente et malsaine, à des idées de lucre ou d’affaires, pour les transporter tout à coup dans un milieu