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où il comptait passer l’hiver. Une crise terrible l’avait arrêté à Marseille, à la veille de s’embarquer, et après une lutte violente de quinze jours, car il a été fort contre la mort comme dans la vie, il avait rendu à Dieu sa belle âme. Sa veuve, qui ne l’avait quitté ni jour ni nuit dans sa longue agonie, a encore eu le courage de rapporter à Paris ses restes mortels, pour les déposer dans une tombe de famille. Nous avons dû à ce soin pieux la triste consolation de lui rendre les derniers devoirs. Ils étaient là presque tous, vieillis avant l’âge et comme courbés sous les coups réguliers que la mort frappe dans leurs rangs, ceux qui ont pris dans d’autres temps une part brillante aux combats de la parole et de la pensée. La plupart avaient été quelque jour les adversaires de Kéon Faucher, et ils n’en étaient pas moins venus, dans un sentiment unanime de douleur et de respect, apporter leur hommage à cette vie si pure, si active et si tôt brisée.


LEONCE DE LAVERGNE.




LITTÉRATURE DRAMATIQUE
LA MEDEE.

J’ai entendu reprocher à M. Legouvé le choix du sujet qu’il vient de traiter. Pour ma part, je ne saurais m’associer à cette mauvaise humeur. Je ne comprends pas en effet qu’on demande aux poètes des sujets que personne n’ait encore abordés. Envisager l’art de cette façon, c’est déclarer tout simplement qu’on y voit un délassement pour l’oisiveté, mais qu’on n’a jamais entrevu les conditions suprêmes qui le régissent. Sans doute c’est pour les poètes un avantage immense de choisir un thème vierge, qui n’ait encore été soumis à aucune épreuve : ils sont sûrs d’éviter ainsi toute comparaison ; mais lorsqu’ils se décident à braver le danger, il ne faut pas blâmer leur témérité, ni leur reprocher de marcher dans un sentier déjà battu depuis longtemps, car dans le domaine de l’art il n’y a pas de sujet, si vieux qu’il soit, que l’imagination et l’étude ne puissent rajeunir. L’écueil, qu’on le sache bien, n’est pas dans l’âge du sujet, mais dans la manière de le comprendre. Il n’y a pas une donnée traitée plusieurs fois par le génie grec ou romain que l’esprit moderne ne puisse aborder avec l’espérance légitime de la renouveler par les développemens, de la féconder par la méditation. Pour tenter cette tâche délicate, il faut tout à la fois une singulière prudence et une grande hardiesse. Et qu’on ne s’étonne pas de voir réunies ces deux expressions qui semblent se contredire : pour la conception, en pareille occasion, la prudence est de première nécessité ; pour l’exécution, la hardiesse n’est pas moins nécessaire. Essayer de renouveler un sujet traité par les poètes antiques est une entreprise que le bon sens ratifie, à la condition pourtant que le poète moderne aura pris la peine d’étudier à loisir tous les élémens de la donnée dont il veut s’emparer. Quant à l’exécution, il est évident que s’il manque de hardiesse, s’il se borne à imiter ses devanciers, il n’aura pas le droit de solliciter l’attention publique, et recueillera l’indifférence, seule moisson digne d’un tel labeur. Il est donc inutile d’insister sur ce point. Qu’il s’agisse de Médée ou de Frédegonde, peu nous importe. Toute